LE DEUXIEME DECOUPAGE DE MBANE : Les populations entre pressions, intimidations et corruption, attendent de pied ferme l’arrivée des «conquistadors»… |
Mbane est en train de subir dangereusement les effets de la Délégation spéciale et des affectations de ses terres. Beaucoup de programmes de développement sont actuellement freinés, renseigne l’équipe dirigée par Aliou Diack, le Président de Conseil rural destitué. Pour preuve, Mbane a été écarté du programme de l’Asbeff contre la malnutrition (Clm), à cause de la Délégation spéciale. Idem pour les fonds d’appui du Pndl aux Communautés rurales. Les activités prévues comme le curage des mares, la réalisation de parcours de bétail, de pare-feux, et certains projets prévus pour juillet dernier son tombés à l’eau.
Le coordonnateur du programme Bonne gouvernance et citoyenneté active du Forum civil, Elimane Kane, a clairement signifié que son équipe ne peut pas continuer à travailler avec la délégation spéciale. M. Kane d’expliquer : «Après la mise en place d’une délégation spéciale à Mbane, l’objectif du programme devient caduc dans la mesure où la certification citoyenne est déclinée comme étant un programme où ce sont les citoyens eux-mêmes, d’une même collectivité locale, qui apprécient la gestion de la localité par leurs élus». Au plan économique, il faut aussi souligner que les Délégations spéciales ne peuvent exécuter le budget initial de la communauté rurale de Mbane sans auparavant voir comment le partager équitablement entre les deux nouvelles collectivités locales, ce qui n’est pas encore le cas. Dès lors, les signatures des présidents de délégation spéciale ne sont pas valables.
Les programmes du Pndl, du Forum civil et les marchés publics bloqués
Quant au Préfet et le Trésor, ils se renvoient la balle pour le déblocage des subventions pour les projets. Les marchés publics sont au ralenti voire bloqués avec des conséquences préjudiciables aux activités socio-économiques, fait remarquer le Conseiller Abdoulaye Taye. C’est le cas pour la construction du stade de Ndombo. Ce projet de 12 millions soutenu par la Coopération allemande et pour lequel les populations avaient déjà apporté leur contribution, est bloqué. La réhabilitation de la maternité de Ndombo et les subventions aux Asc et les fournitures scolaires ont subi le même sort. Le programme de construction de poste de santé du village de Bouteynia, les investissements du Programme national de développement local (Pndl) pour la construction des mûrs de clôture des écoles de Diamaguene et de Thiago sont aussi bloqués, se désole le coordonnateur du Mouvement pour la justice et le développement de Mbane, par ailleurs membre du Forum civil. En définitive, le constat est que, ce sont les populations qui paient un lourd tribut devant ces perturbations administratives aux conséquences multidimensionnelles.
Le ministre Alioune Sow : «Je n’ai plus rien à dire sur ce problème, l’affaire de Mbane est derrière moi»
Face à ces nombreux problèmes auxquels Mbane est confronté à cause de la mise en place des Délégations spéciales, le ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales Aliou Sow que nous avons interpellé sur la question a déclaré d’un ton sec : «Je n’ai plus rien à dire sur ce problème, l’affaire de Mbane est derrière moi». Quant au sous préfet de Mbane, il est moins prolixe et déclare lui aussi qu’il ne va plus se prononcer sur l’affaire de Mbane pour des raisons personnelles.
Mais il faut dire qu’au-delà de ces difficultés que rencontrent les populations, s’ajoutent les pressions et intimidations pour qu’elles se déplacent avec leurs villages pour faire place à des sociétés qui ont bénéficié de dizaines de milliers d’hectares et à d’autres personnalités de l’Etat à qui on a affecté des surfaces non moins importantes. Or, ces villages traditionnels et centenaires construits en dur, sont dotés de leurs mosquées, écoles publiques et de cimetières. Le Prc Aliou Diack soutient qu’«on veut les repousser vers le Ferlo aux conditions de vie, de jour en jour, plus insupportables. Les villages menacés sont précisément : Pathé Baddio, Wouro Alayindé, Bardial Diassarnabé, Gadou Sidy Mokhtar, Wouro Abdoul Ndounga, Pathé Baddio Wouro Ndiougna, Pathé Baddio Mangoné Diop, Pathé Baddio Thierno Aly, Mourseyni 1 et Mousseyni 2
L’intimidation et la pression : les stratégies pour chasser une dizaine de villages
Après avoir réussi à obtenir des milliers d’hectares, les sociétés et personnalités veulent maintenant sécuriser leurs terres. Ainsi tous les moyens sont bons pour obliger ces populations à quitter ces villages cités plus haut. Intimidation, pressions, menaces, corruption, rien n’est laissé en rade par les promoteurs ou les investisseurs qui commencent à investir Mbane. Abdoulaye Sow du village Wouro a déclaré avoir été témoin de l’arrivée d’étrangers qui essaient de convaincre des villageois à quitter leurs terres en faisant des propositions financières. Mais ce qui est plus flagrant, renseigne Bara Yague, habitant du village de Pathé Baddio, c’est la pression exercée par certaines sociétés et autorités qui bénéficient de milliers d’hectares. «Pour les vieux qui refusent d’abdiquer, on brandit le licenciement de leur enfants comme arme», fait-il savoir, non sans manquer de déplorer la corruption qui commence à faire rage dans la zone. Avant de poursuivre : «même les étudiants de Mbane à Dakar, dont on connaît leur opposition farouche à ces affectations de terres subissent des pressions». Pour preuve, «depuis la mise en place de la Délégation spéciale, les autorités refusent de payer la location des deux appartements que le Prc Diack avait pris pour nous, l’un à Fass et l’autre à Fann Hock», a déclaré Sidaty Sow membre de l’Amicale des étudiants de Mbane. Avant d’alerter : «D’ici deux semaines on va nous déloger des lieux, faute de paiement».
En tout cas une chose est sûre : «Tous ce que ces gens racontent aux populations pour prendre leurs terres ne sont que des histoires», à en croire M. Diack. Pour lui, «ils font de la surenchère et essaient de tromper la vigilance des gens alors que la vérité est ailleurs. Je leur ai dit que les intérêts des paysans et des éleveurs, je ne les échangerais contre rien du tout. On est en train d’exproprier les paysans et les éleveurs pour de l’argent, j’ai dit non. Il y a des intérêts financiers extrêmement importants qui sont en jeu, c’est-à-dire l’occupation des terres contre de l’argent. Ça pue la corruption».
Un drame pire que Fanaye annoncé à Mbane
Au regard de la volonté affichée par certains villages qui ont déjà perdu leurs terres à cause des affectations effectuées par l’ancienne équipe du Conseil rural, les choses sont loin d’être une sinécure pour les sociétés et investisseurs que certains conseillers ruraux comme Aliou Diack appellent les « conquistadores », qui commencent à tâter le terrain pour s’implanter. Le désormais ex-Pcr avertit : «ce qui risque de se passer à Mbane sera pire que ce qui s’est passé à Fanaye. Ces sociétés et personnalités qui ont mis la main sur les terres de Mbane peuvent avoir la force pour faire passer certaines décisions, mais ils seront confrontés à une résistance permanente des paysans et aucun investisseur ne peut tenir avec le temps. Mieux nous allons organiser cette résistance».
Le village de Pathé Badio qui est le plus ciblé actuellement se prépare au pire. Certains membres du Mouvement pour la justice, la démocratie et le développement de Mbane (Mjddm) dirigé par Bara Yague, qui y habitent déclarent que les villageois ne pensent même pas quitter leurs terres. «Il y a un mois, il y a eu un soulèvement, parce que tout simplement, on a parlé de déguerpissement. Ils sont plus que jamais déterminés, ils ont pris leurs armes et ils attendent. Il risque de se passer un drame pire que Fanaye, ces gens ne vont pas reculer». C’est la même attitude adoptée par le village de Deli Namary. Le président du Comité de défense des intérêts de Mbane (Cdm) Sidaty Sow qui habite ce village avertit : « les gens de mon village sont décidés, ils sont en train d’organiser des réunions pour mettre en place des stratégies à adopter le moment venu. Je ne vais pas dévoiler les plans, mais je vous assure que vous verrez plus grave que ce que vous avez vu à Fanaye si jamais on vient nous déguerpir».
DESAFFECTATION DES TERRES DE 196 210 HA À MBANE : Pourquoi l’autorité administrative refuse de signer la délibération du Conseil rural
La délibération N°06/ARP.MB du 04 juin 2011 du Conseil rural de Mbane désaffectant 196 210 hectares de terres spoliées aux fins d’être redistribuées au profit des paysans et des éleveurs, n’aura servi à rien. Le sous-préfet a refusé de signer ladite décision. Pourtant dans cette même délibération, les conseillers ont clairement signifié que la superficie de Mbane qui est 190 600 ha est largement dépassée par les surfaces effectivement attribuées. Pire, ces affectations ont été «contrôlées» et approuvées par les sous-préfets qui se sont succédé pendant la courte période de l’Alternance. Sur 250 000 hectares distribués et enregistrés dans les 3 registres de délibération du Conseil rural de 1980, date de création de la Communauté rurale de Mbane jusqu’en 2008, 220 000 hectares l’ont été dans la seule période de 2002 à 2008. Certains promoteurs privés et personnalités placées au plus haut sommet de l’Etat se retrouvent avec des milliers d’hectares, comme mentionné dans la délibération du Conseil rural de Mbane. Ce qui fait que certains conseillers à l’instar de Moussa Taye et son président, mais aussi Bara Yague voient en cette attitude du sous-préfet une manière de protéger des autorités de la République qui ont acquis d’énormes étendues de terres.
Rokhaya Agathe Bijl, chargée de mission à la présidence bénéficie de 30 000 ha, l’équivalent de Sangalkham.
Il s’agit de Madame Rokhaya Agathe Bijl, Chargée de mission à la présidence de la République qui a obtenu 30 000 hectares à Bouteyni, par délibération N°005 du 12 août 2008, approuvée le 31 décembre par le sous-préfet, par arrêté N°81/AMB/SP. Cette dame dont le nom n’était jusque-là révélé, a réussi la prouesse d’avoir une superficie qui fait pratiquement toute la surface de la communauté rurale de Sangalkam. Une société en l’occurrence Promodew a même bénéficié de 50 000 hectares correspondant à toute la superficie de la région de Dakar, de la Pointe de Ngor jusqu’à la guérite de Bargny, renseigne le Pcr Diack. Sans compter des membres du gouvernement de Me Wade avec son Premier Ministre Souleymane Ndéné Ndiaye qui a reçu 50 hectares de terre, le Président du Sénat Pape Diop (700 hectares), le Ministre d’Etat Cheikh Tidiane Sy (100 hectares), le Ministre d’Etat Maître Madické Niang (100 hectares), Oumar Sarr (600 hectares), le Ministre Thierno Lo (1 000 hectares), le Président du Conseil économique et social Ousmane Masseck Ndiaye (200 hectares) entre autres. Selon le Prc Diack, «toutes ces terres ont été distribuées à des personnes qui sont étrangères à la Communauté rurale et à des sociétés n’y ayant pas droit, qui de surcroît ne les exploitent pas, foulant ainsi au pied les lois et décrets organisant la gestion des terres dans les zones de terroir. «C’est ça qui est scandaleux, qu’on sacrifie des paysans et les éleveurs pour des intérêts du genre, c’est ça qui nous révolte et c’est ça qui pousse les gens à vouloir nous écarter de la Communauté rurale pour avoir les coudées franches, mais ils ne peuvent pas le faire et nous allons remettre les choses à l’ordre».
Plaintes contre sociétés et autorités de l’Etat en vue
Après avoir fait toutes les actions possibles, à savoir les marches de protestation, la sensibilisation des populations, etc., le Mjdd a décidé d’accentuer la pression pour la récupération des terres de Mbane données à des étrangers. Le coordonnateur dudit mouvement Bara Yague a déclaré en se sens : «Nous sommes en train de dérouler un plan d’action. Nous allons non seulement ester en justice les gens qui ont bradé nos terres, mais aussi on va porter plainte contre les gens qui ont pris les terres, c’est à dire les sociétés et les autorités au sommet de l’Etat mouillées dans cette affaire. Nous avons commis des avocats pour ça et on est en train d’entrer en contact avec d’autres qui sont prêts à nous défendre». Bara Yague s’indigne du fait qu’on a attribué des terres à des gens qui, pour la plupart, n’ont même pas exploité. Ces attributions ont créé une situation de terres fictives, des données fictives qui n’ont rien à voir avec les réalités sur le terrain. L’autre considération est qu’on va déplacer beaucoup de villages. Ce qui à ses yeux est inacceptable. «On peut distribuer des terres mais qu’on considère qu’il y ait des réserves foncières, des droits de pâturages, et que les populations ont des terres à cultiver», clame-il.
Dossier réalisé par Jacques Ngor SARR
Avec l’appui de l’Institut Panos
Jacques Ngor SARR