Pr Awa Marie Coll Seck, Ministre de la Santé et de l’Action Sociale : « La Cmu a besoin d’un budget de 27 milliards de FCfa par an, alors que nous n’avons que 15 milliards »... |
l’accueil et de la gestion des urgences dans les structures sanitaires sénégalaises… Le ministre de la Santé
et de l’Action sociale, le Pr Awa Marie Coll Seck, passe en revue toutes ces questions dans cette interview.
Mme le ministre, le Sénégal a initié la Cmu pour faciliter l’accès des populations aux soins. Pouvez-vous nous
faire le bilan de cette initiative ?
Il est bon de montrer qu’il y a un soubassement à la Couverture maladie universelle (Cmu). Ce n’est pas
parce que le chef de l’Etat a voulu utiliser un slogan qu’il a mis en place cette initiative. C’est parce qu’il a eu
à visiter le Sénégal en profondeur. A chaque fois, il a entendu parler des difficultés d’accès aux structures de
santé et de soins. Par la suite, nous nous sommes rendu compte, quand nous étions arrivés en 2012, que 80
% de la population n’avaient pas une assurance maladie. Seuls 20 % sont couverts et ce sont des personnes
qui sont dans le secteur privé et bénéficient des Ipm, mais aussi des fonctionnaires qui ont une imputation
budgétaire. C’est pour cette raison que nous avons décidé de faire quelque chose pour cette partie de la
population qui, en général, est dans le secteur informel et le monde rural. Nous avons choisi l’un des outils
utilisés dans le monde pour l’assurance maladie, à savoir les mutuelles de santé, en particulier celles
communautaires. Nous avons élaboré une stratégie basée sur les mutuelles communautaires et les gratuités
pour que l’on puisse avoir une Couverture maladie universelle progressivement avec une atteinte de 75 % en
2017 et le reste se ferait dans les années à venir.
Pour les mutuelles de santé communautaire, notre stratégie est de tout faire pour les implanter au niveau
local. Nous avons un slogan qui est « Une collectivité locale, une mutuelle de santé au moins ». Ce qui fait
que les gens auront un système de solidarité dans le même quartier, le village ou la même zone. C’est une
manière de faire un travail de solidarité au niveau communautaire. Depuis le démarrage de la Couverture
maladie universelle, nous avons mis en place 106 nouvelles mutuelles dans 14 départements pilotes. Une
vingtaine de mutuelles sont en cours de constitution. Nous avons enregistré 28.293 nouveaux adhérents, soit
environ 226.344 bénéficiaires attendus. Nous avons enrôlé 48.000 ménages bénéficiaires de la première
phase de la bourse de sécurité familiale dans les mutuelles. Grâce à la Cmu, 666.237 personnes ont été
consultées, 318.771 enfants vaccinés et 58.917 patients hospitalisés.
Depuis l’extension de l’initiative de la gratuité sur l’ensemble du territoire national à partir du 1er janvier 2014,
6.157 femmes ont bénéficié de la césarienne pour la période de janvier à juin 2014. Ce qui correspond
environ au nombre de césariennes enregistrées durant toute l’année 2013. Nous avons donc une bonne
évolution pour ce qui concerne la Cmu, même si les difficultés ne manquent pas. Nous avons aussi une
seconde option qui est de faire des gratuités. C’est ainsi que nous avons la gratuité pour les enfants de 0 à 5
ans, les insuffisants rénaux, les tuberculeux, les Personnes vivant avec le Vih, l’insuline. Ces gratuités sont
calquées sur le budget qui est à notre disposition pour éviter les erreurs commises dans le Plan sésame. Car
si vous mettez en place une politique et que les moyens ne suivent pas, vous aurez des difficultés. Pour
nous, le paquet que nous pouvons offrir aux enfants de 0 à 5 ans, c’est la gratuité des soins au niveau des
postes et centres de santé de référence. Tous les enfants qui arrivent, quelle que soit l’urgence, sont pris en
charge gratuitement, parce qu’ils ne paient pas le ticket modérateur. Aujourd’hui, il y a un paquet de
médicaments qui existe au niveau de l’initiative de Bamako. Ils sont aussi donnés gratuitement. Au niveau du
centre de santé, l’hospitalisation est gratuite pendant 7 jours. Maintenant, le problème se trouve dans les
hôpitaux où certains parents préfèrent amener leurs enfants et après se plaindre que ces derniers n’ont pas
bénéficié d’une prise en charge gratuite. Il faut d’abord retenir que ce sont des enfants de 0 à 5 ans. Au-delà
de cet âge, l’enfant n’est pas pris en charge.
Il se pose alors un problème d’information des populations ?
La communication pose problème. Au niveau des hôpitaux, les enfants de 0 à 5 ans sont acceptés
seulement si le centre de santé est dépassé, autrement dit quand on considère que la maladie ne peut être
traitée qu’à l’hôpital. Dans ce cas, vous rentrez gratuitement dans le système. Si l’enfant a un malaise à la
maison, cela est considéré comme une urgence, on doit le prendre tout de suite. Mais quand vous laissez un
poste ou un centre de santé en pensant que c’est à l’hôpital qu’il sera soigné, vous êtes facturé, car à ce
niveau, ce n’est pas gratuit.
Il y a aussi la gratuité des césariennes qui était limité aux régions. Aujourd’hui, elle est étendue dans toute la
capitale Dakar. Sauf pour les ordonnances qui n’entrent pas dans le cadre de la césarienne. Il y a une
communication que nous devons faire, parce qu’il y a encore quelques réticences des structures de santé qui
évoquent les ruptures de kits, alors que ces derniers sont disponibles à la Pharmacie nationale
d’approvisionnement (Pna). Mieux, les pharmacies régionales en disposent.
Pour ce qui concerne la Cmu, elle évolue bien, mais lentement, parce que nous avions un problème
organisationnel et de gouvernance. Elle était gérée par une cellule au niveau du ministère de la Santé, alors
qu’elle ne peut pas employer beaucoup de monde, surtout quand elle est logée dans un ministère. Tout le
monde connait les contraintes administratives pour les remboursements des mutuelles et des gratuités. C’est
pour cela que le président de la République, qui ne veut plus d’Agence, a décidé d’en créer tout de même
une pour la Couverture maladie universelle. Cette Agence permettra une meilleure gestion, mais aussi de
recruter des profils différents qui ne seront pas des fonctionnaires pour pouvoir gouverner cette Cmu d’une
manière efficace et plus rapide. Nous voulons aller rapidement et bien. C’est le premier problème qui est
résolu aujourd’hui. Le second problème est celui de la communication. Nous avions un budget de 6 milliards
de FCfa qui est régulièrement mis en place depuis deux ans. Cet argent est destiné uniquement aux
mutuelles de santé et pour rembourser parfois certaines gratuités, mais pas pour le fonctionnement. C’est pour
cette raison que la cellule a des problèmes pour dérouler son plan de communication. Nous avons fait venir
un consultant qui a rédigé une stratégie de communication. Mais il n’y avait pas d’argent pour mettre en œuvre
ce plan. La Cmu a besoin d’un budget de 27 milliards de FCfa par an, alors que nous n’avons que 15
milliards si je compte les 6 milliards que l’on donne à la Cmu et les gratuités, notamment les césariennes et
celles des autres programmes. Il y a un gap sur le plan de financement. C’est pour cela que nous avons dit
qu’il faut un financement innovant pour la Cmu. Le budget classique de l’Etat pourra difficilement gérer cela.
C’est pourquoi on pense aux taxes sur le tabac, les boissons alcoolisées, sucrées et même sur les
transactions financières.
Les mutuelles de santé sont nécessaires dans la mise en œuvre de la Cmu. Comment inciter les Sénégalais
qui ne sont pas habitués à ce système à s’inscrire et à continuer à cotiser, même s’ils ne sont pas malades ?
On a l’habitude de dire que les Sénégalais n’ont pas la culture des mutuelles. Mais, en réalité, ils ont
l’habitude de cotiser sans rien recevoir tout de suite. Presque toutes les femmes et même des hommes sont
inscrits dans une tontine soit dans leur quartier ou leurs lieux de travail. La tontine est vraiment quelque chose
d’ancrée, parce que l’on cotise et on ne prend pas l’argent tout de suite. C’est au bout de quelques mois que
vous devez le récupérer. C’est la même chose pour la Cmu. Vous cotisez alors que vous n’êtes pas malade.
Mais vous verrez les bénéfices le jour où vous serez malade. Là vous direz heureusement que j’ai une
mutuelle. Parce que vous pouvez tomber malade à 4 heures du matin, au milieu du mois, et sans argent.
Dans ce cas, il vous suffira simplement de prendre votre carte et de vous rendre dans une structure de santé
où vous allez bénéficier de soins grâce à votre mutuelle. Il faut mieux expliquer aux gens, car il y a encore un
problème de communication sur ce plan. Ce n’est pas la faute à ceux qui gèrent les mutuelles, la
communication, elle doit être multiple. Nous devons utiliser les médias publics, les radios communautaires,
des spots à la télévision pour sensibiliser les populations. Aussi, faire du porte-à-porte dans les quartiers, la
Cellule de la Cmu ayant été créée dans les quartiers des 14 départements pilotes des organes populaires où
des personnes recrutées incitent les populations à adhérer aux mutuelles de santé communautaire. Il y aura
plus de monde et de moyens logistiques pour permettre aux agents de se déplacer facilement.
L’accueil dans les structures sanitaires est décrié tous les jours. Que préconisez-vous pour rendre conviviaux
les services dans les hôpitaux, centres, postes de santé, etc. ?
Je peux dire que la majorité du personnel de santé accueille normalement les patients. Mais, il y a toujours
des cas. Ce sont ces cas qui énervent tout le monde. Je ne veux plus de ces cas qui donnent une mauvaise
image des structures de santé. Même si c’est un cas, c’est trop, parce que ça gâche la réputation de toute
une profession et du secteur de la santé. Je connais bien ce problème, c’est pour cela que lorsque je suis
arrivée à la tête de ce département, quelques mois après, on m’a nommé marraine au niveau de l’Ufr de
Santé de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Les étudiants m’ont demandé de choisir un thème. J’ai
proposé que l’on discute sur la charte du malade, car les problèmes d’accueil des patients dans les
structures constituent une difficulté. Après, nous avons distribué la charte du malade pour dire aux gens que
les malades ont des droits. Puis, j’ai eu une discussion avec les directeurs des hôpitaux en leur demandant
de régler le problème de l’accueil. Certains ont commencé à prendre des hôtesses pour l’orientation des
malades. Mais cela ne suffit pas encore. D’autres ont mis en place au sein de leurs structures des bureaux
d’usagers avec l’Association des consommateurs. Malgré tout, il y a encore des problèmes. Nous avons
décidé de les analyser tous. C’est ainsi que nous avons fait une consultation avec les syndicats pour les
professionnels de santé afin d’essayer de voir s’il y a un aspect qui émane de la faute du personnel de santé.
Si c’est oui, les syndicats doivent mettre en garde leurs membres et éviter d’intervenir à chaque fois qu’il y a
des sanctions. Il faut que les syndicats soient des artisans pour régler le problème. Ils ont accepté de
sensibiliser leurs membres. Même scénario avec les directeurs et les représentants du personnel au niveau
du Conseil d’administration avec qui nous avons eu plusieurs heures de discussion pour leur dire que nous
ne voulons plus voir ça. Chacun a dit ce qu’il pense de l’accueil dans les structures de santé.
Est-ce qu’il ne se pose pas un problème de compétences du personnel qui gère l’accueil dans les structures
de santé ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous, parce qu’on se rend compte que de nombreuses structures sanitaires,
pour des raisons historiques sur lesquelles on ne peut pas revenir, disposent de beaucoup de personnel non
qualifiés. Un personnel non qualifié qui a une blouse blanche comme les médecins. Donc, quand le patient
arrive, il ne sait pas à qui s’adresser puisque, le balayeur par exemple, à l’image des autres agents, a sa
blouse blanche. La personne que vous rencontrez qui a sa blouse blanche qui ne parle pas bien au patient,
ce dernier accuse aussitôt un médecin ou un infirmier, alors que cela peut être quelqu’un d’incompétent qui a
essayé d’orienter le patient ou son accompagnateur. Pour trouver une solution, nous avons proposé à tous
les directeurs de donner des blouses de couleurs différentes à chaque type de personnel. Ils se sont
engagés et ont promis de le faire. Ainsi, les gens sauront poser des questions au personnel de santé en se
basant sur la couleur des blouses. Nous avons parlé avec les 13 associations de consommateurs qui ont
beaucoup insisté sur la charte du malade. Ils estiment que dans chaque structure, il faut une bonne discussion
et même une formation sur la charte du malade que nous devons réviser, parce que celle dont nous
disposons date de plus de 15 ans et il y a des nouveautés. Nous allons réviser cette charte et l’afficher dans
toutes les structures sanitaires pour que tout le monde soit au courant. Cela permettra au malade de choisir le
médecin qu’il veut voir. Ce n’est pas un péché de choisir son médecin. Le malade a le droit de poser des
questions sur son diagnostic, alors que certains médecins ne veulent pas de cela. Pourtant, c’est un droit. Un
malade doit avoir des justificatifs lorsqu’il reçoit une facture. Si le malade n’a pas les moyens de payer, il y a
un endroit visible où c’est l’action sociale qui va le prendre en charge.
Pourtant, des gens sont rejetés dans les services des urgences faute d’argent…
Cela est dû peut-être à nos formations d’aujourd’hui. Quand j’étais interne des hôpitaux, je faisais de la
sémiologie en écoutant le cœur, les poumons, en palpant le malade et rapidement on détecte le mal et on
demande au malade d’aller faire une radio, parce que le type de son que le médecin entend peut orienter
vers une bronchite, une pneumonie ou autre chose. Si la personne n’a pas les moyens pour faire la radio, on
peut déjà la traiter en attendant. Mais aujourd’hui, les malades pensent que s’ils n’ont pas fait beaucoup de
radios, entre autres examens, leur prise en charge n’est pas correcte. Quand un malade vient dans une
structure sanitaire, si vous l’examinez et lui demandez de prendre de la chloroquine, il pense qu’il n’est pas
bien traité. Nous sommes dans un cercle vicieux et cela nécessite une grande communication. Nous avons
aussi parlé avec l’Association des sages-femmes à l’époque où il y avait une dame qui avait fait le tour des
structures de santé pour se faire prendre en charge. Nous avons interpellé le Samu, parce que nous avons
remarqué qu’il y a un problème de régulation. Ensemble, nous avons décidé que, dans chaque hôpital, le
médecin de garde connaisse le nombre de lits dont dispose la structure afin de le communiquer au Samu qui
va faire la régulation de sorte que, si vous avez un cas d’urgence, au lieu d’appeler tous les hôpitaux ou bien
de dire au malade d’y aller, d’appeler juste le 1515 du Samu et le problème est réglé. Le nom des hôpitaux
disposant de places sera communiqué. Là vous pouvez dire au malade d’aller dans tel ou tel hôpital. Et le
médecin de garde appelle cet hôpital pour le prévenir afin que le malade ne perde pas de temps. Pour le
moment, nous avons un problème de régulation, mais le Samu est engagé à le prendre en charge. Il y a
beaucoup de problèmes dans l’accueil et les urgences, mais cela ne signifie pas que le système de santé
sénégalais est mauvais, parce que nous avons quand même noté des améliorations significatives. Et nous
sommes en train de travailler sur ces difficultés. D’ici quelques temps, il y aura des changements. Nous ne
devons pas occulter ces obstacles, parce que si le système de santé ne marche pas, très facilement il y a
des morts, et c’est sensible. Nous ne pouvons pas accepter que les problèmes d’accueil et des urgences
continuent à être les maillons faibles de notre système de santé.
Le Sénégal n’a pas assez d’urgentistes. Plusieurs propositions ont été faites, dont la formation des infirmiers
d’Etat en techniciens supérieurs en urgence. Est-ce que cela entre dans le cadre de votre politique de
renforcement des ressources humaines ?
Tout à fait. Mais, il faut mettre cela dans le cadre global du déficit de spécialistes en santé au Sénégal. Je
sors d’une rencontre avec le Pr Serigne Abdou Bâ, cardiologue (chef du service cardiologie de l’hôpital Le
Dantec, Ndlr). Il m’a donné la liste de quatre personnes qui viennent de sortir de l’école de cardiologie. Il m’a
informé aussi qu’il y a 29 autres en formation. Aujourd’hui, nous avons pris comme option de donner le
maximum de bourses, même si elles ne sont pas parfois conséquentes, parce que tournant autour de 150.000
FCfa. Ce sont des bourses que nous donnons pour que les Sénégalais puissent subir la spécialisation, car
pendant très longtemps, à cause du coût de la formation, les médecins sénégalais n’ont pas bénéficié de
spécialisation. Certains se sont contentés ainsi d’être généralistes ou d’aller travailler dans le privé. C’est ce
qui s’est passé pour les urgentistes, les cardiologues, les chirurgiens, entre autres. Quelqu’un disait que dans
les services de garde de nos hôpitaux, les médecins sont tous des étrangers et ne parlent pas nos langues
nationales. Ils sont Ivoiriens, Burkinabé, etc. C’est bien. Nous formons des spécialistes de tous les pays de
l’Afrique, sauf pour le Sénégal. Depuis que nous sommes arrivés, en 2012, nous avons multiplié le nombre
de boursiers sénégalais de 5 à 10. Mais nous ne verrons les résultats que dans 3 ou 4 ans, le temps que
durent les formations. Même si nous ne verrons pas tous les avantages de cette formation tout de suite, ce
n’est pas grave, dans l’avenir, le Sénégal aura assez de spécialistes. Je peux vous dire alors qu’il y a une
bonne stratégie mise en place pour plus de spécialistes sénégalais dans le domaine de la santé. Nous avons
presque 200 boursiers, cela veut dire que dans chaque spécialité, nous avons au moins de 10 à 15 boursiers.
Ce qui nous permettra de résorber le déficit d’urgentistes, entre autres spécialistes.
Vous avez dit que votre défi pour 2015, c’est la lutte contre les maladies chroniques. Concrètement, qu’est-ce
que vous comptez faire en terme de renforcement des moyens de riposte, de sensibilisation des populations
et de prise en charge ?
C’est presque un cri du cœur. Je me suis rendue compte que les maladies chroniques deviennent de plus en
plus fréquentes. En plus, elles ne bénéficient pas souvent de financement. Aujourd’hui, des maladies comme
la tuberculose, le Sida ou le paludisme bénéficient de plus de financement sur le plan international.
Malheureusement, il n’y a aucun financement pour le diabète, les cancers, les maladies cardiovasculaires,
etc. Or, ce sont souvent des maladies chroniques à soins coûteux. Donc, j’ai pris une option pour en faire une
priorité. Nous avons fait beaucoup d’actions dans la prévention en organisant des manifestions comme «
Octobre rose » pour ce qui concerne la lutte contre le cancer du sein. Le président de la République ainsi
que les ministres se sont impliqués pour que les femmes fassent des mammographies. Il y a d’autres
initiatives pour le diabète (M-diabète). Nous sommes en train de préparer une enquête nationale pour
connaitre la fréquence des maladies chroniques au Sénégal. Nous avons aussi mené des activités de
sensibilisation et de plaidoyer. J’estime qu’il faut faire plus. Si je prends l’exemple des cancers, une seule
cure de chimiothérapie peut coûter 800.000 FCfa, alors que vous devez en faire 4, 5 ou 6. Même quelqu’un
qui a un bon salaire ne peut pas supporter cette somme. Donc, il est obligé de faire appel à sa famille, aux
amis pour pouvoir faire face à cette prise en charge. Les personnes qui n’ont pas du tout de moyens vont voir
les médias pour demander une aide. D’autres se laissent tout simplement mourir. Nous avons pensé qu’il faut
négocier les prix des médicaments anticancéreux et faire en sorte que ces produits puissent être disponibles
dans le secteur public. Le directeur de la Pharmacie a négocié avec les grossistes ; ce qui fait que des
produits anticancéreux qui coûtent plus de 40.000 FCfa ont connu une diminution de 30 % à 40 %. Ces
anticancéreux ont intégré la liste des médicaments essentiels que la Pharmacie nationale
d’approvisionnement peut maintenant commander. Nous savons que les prix des médicaments essentiels
sont beaucoup plus abordables surtout s’ils sont vendus dans le public. La deuxième chose sur laquelle nous
sommes en train de travailler, c’est d’augmenter les capacités potentielles de prendre en charge des malades
souffrant des cancers.
L’hôpital Dalal Diam qui doit ouvrir avant la fin de l’année est une structure où il y a toute une aile de
cancérologie qui permettra de régler cette question. Il est prévu, dans le cadre du Plan Sénégal émergent,
des structures de pointe, dont un Institut du cancer qui aura un plateau technique de dernière génération. Cela
fait aussi partie de nos projets. Il y a une stratégie aussi qui a été élaborée en collaboration avec les
associations, les cancérologues et les chirurgiens qui opèrent les malades du cancer pour avoir maintenant
un plan stratégique. Lequel permettra de mettre des moyens pour pouvoir aider les malades qui n’ont pas de
moyens. Mais, notre option fondamentale reste la prévention, parce que toutes les maladies chroniques sont
coûteuses. Donc, si vous avez le diabète, même si vous payez par mois 50.000 FCfa, vous allez le faire toute
votre vie. Et vous allez finir par avoir des difficultés. Quand vous avez l’hypertension artérielle, ce sont les
mêmes types de molécules qui coûtent aussi cher. On connait les déterminants de certains cancers comme
celui du poumon dont le tabac est le principal facteur de risque. Pour résoudre cette question, nous avons fait
voter la loi anti-tabac et les décrets d’application sont dans le circuit. Avec cette loi, on voudrait aider surtout
les jeunes à ne pas fumer, pour que demain, ils n’aient pas de problèmes pulmonaires ou de cancer.
Pour le diabète et toutes les malades cardiovasculaires, nous savons aujourd’hui que la sédentarité est l’un
des facteurs de risques. Il faut bouger, c’est-à-dire faire du sport, de la marche par exemple. Sur ce plan, je
suis très contente, parce qu’à Dakar, surtout au niveau de la corniche, les gens s’adonnent beaucoup aux
activités sportives en courant ou en marchant. Ce sont des choses positives. Il faut trouver du temps. En
prévention, il faut aussi faire attention à l’alimentation en évitant surtout les bouillons. Ce sont ces bouillons qui
contiennent beaucoup de sel qui sont responsables de beaucoup de maladies chroniques. La consommation
des aliments salés est une excellente voie pour avoir des maladies cardiovasculaires, des problèmes de
reins, entre autres. Pour tout cela, j’ai décidé de faire, en 2015, beaucoup de communication et d’activités
pour combattre les maladies chroniques.
Pourquoi ne pas essayer de sensibiliser les enfants dès le bas âge en intégrant ces questions d’alimentation
dans le programme scolaire et ainsi limiter les facteurs de risques parce qu’étant adulte, c’est difficile de
changer de comportements ?
Tout à fait. C’est pourquoi je disais que beaucoup de choses ne dépendent pas du seul ministère de la
Santé. Nous avons un mémorandum avec le ministère de l’Education et signé une convention avec celui des
Sports pour les randonnées. Nous avons beaucoup travaillé avec le ministère de l’Education dans le cadre
de la lutte contre la maladie à virus Ebola. C’est dire qu’il faut que les gens sachent que la santé, ce n’est pas
seulement l’affaire des médecins. Elle est celle de tous les corps qui peuvent apporter plus que des
médecins en s’impliquant dans la prévention. Au Sénégal, on prend des initiatives, mais après, on les
abandonne. Par exemple, il y avait un parrainage entre des écoliers un peu plus âgés et les bébés. Ils ont
obligé les parents à respecter le calendrier vaccinal. Les enfants peuvent pousser leurs parents à faire
certaines choses. Si les enfants se lavent les mains, les parents suivront. Sur ce plan, je suis d’accord avec
vous.
Mille agents de santé étaient recrutés l’année dernière. Est-ce que la politique de renforcement des
ressources humaines est une priorité dans votre département ?
Le président de la République a été très sensible au problème de recrutement des agents de santé. Il a fait
un geste généreux en recrutant 1.000 agents dans la Fonction publique, ce qui n’a jamais été fait dans le
secteur de la santé. Au mieux, le recrutement tournait autour de 500 agents de santé. Aujourd’hui, nous
continuons de faire le plaidoyer pour que ce recrutement de mille agents puisse être pérennisé au moins pour
les trois prochaines années dans le secteur de la santé. Je pense que cette politique va se poursuivre. On
nous a promis cela, mais je préfère attendre un peu. Mais sachez qu’il y a une très bonne sensibilité au
niveau des plus hautes autorités.
Concernant la planification familiale, le Sénégal a connu des avancées, mais il y a encore des résistances
socioculturelles et la religion. Quelle stratégie préconisez-vous pour que les choses avancent au mieux ?
C’est vrai, on nous invite partout en disant que nous avons fait de bonnes choses, mais il faut reconnaitre que
nous sommes partis de très loin. Il y a des pays comme le Rwanda qui ont atteint plus de 70 % de prévalence
contraceptive. Nous avons comme espoir d’atteindre le taux de 27 % en 2017 ; ce qui ne serait déjà pas mal.
Je dis souvent, partout où vous êtes, il faut tenir compte de l’environnement socioculturel. Si on n’en tient pas
compte et si on considère que ce n’est pas important, on subira les conséquences de tout cela. Raison pour
laquelle dans nos stratégies, nous avons beaucoup impliqué les femmes, notamment les « Badiénou Gokh »
(marraines de quartier), parce qu’elles sont au niveau communautaire, elles parlent aux femmes mieux dans
les maisons. C’est une excellente stratégie communautaire. Les relais communautaires et les chefs religieux
sont impliqués, notamment les imams. Nous voulons tenir compte de cela et prendre même des arguments
religieux pour pouvoir passer la bonne information à la population. Nous pensons tout de même que passer
de 12 % à 16 % en un an, c’est quand même un élément positif. C’est pour cela que nous devons continuer à
foncer. Nous sommes un des rares pays dans le monde à faire ce genre de performance, malgré le fait que
nous n’avons pas une politique de planification familiale agressive. Maintenant, nous allons beaucoup plus
communiquer, parce que la communication pour un changement de comportements doit être permanente et
multiforme. Mais faute de moyens, nous n’arrivons pas à bien faire ce travail de communication. Cette année,
nous allons reprendre la campagne « Moytou nef » (Eviter les grossesses rapprochées) qui tient compte des
contraintes et des aspects socioculturels, car nous ne sommes pas dans des pays occidentaux ou au Japon.
Ne pensez-vous pas que les arguments économiques pourraient mieux marcher pour faire la promotion de la
planification familiale puisque quelqu’un qui a de maigres revenus ne peut pas prendre en charge plusieurs
enfants ? Pourquoi ne pas explorer cette voie ?
En fait, les arguments économiques sont utilisés quand les gens font du porte-à-porte en essayant de
convaincre les populations. Mais, ces dernières ne sont pas directement sensibles à cet argument. Ce sont
les décideurs qui sont sensibles à l’argument économique qui parlent souvent de dividende démographique.
Ils comprennent cette politique, mais la population ne la comprend pas. C’est pour cela qu’il faut utiliser
beaucoup d’arguments, faire une communication multiforme, parce qu’il y a des gens qui sont sensibles à
l’argument religieux, d’autres à celui économique. C’est pour cela que chacun prendra ce qui l’intéresse. Si on
fait un seul type de message, nous allons rater beaucoup d’autres cibles qui seront intéressés par ce que
nous faisons.
Le Sénégal a enregistré de bons résultats dans la lutte contre la mortalité infantile, mais celle maternelle reste
préoccupante. Etes-vous optimiste quant à l’atteinte des Omd cette année ?
Je ne suis pas aussi utopiste. Il y a de bons indicateurs par rapport à la survie de l’enfant. Nous sommes
aussi sur la bonne voie pour ce qui concerne l’objectif 6 des Omd, dont la tuberculose, le Sida et le
paludisme. Pour cet Omd, je pense que si nous faisons un peu d’effort, nous pourrons l’atteindre. Même pour
la mortalité infantile avec toutes ces gratuités accordées à cette couche, on pourrait accélérer les choses.
Mais, pour la mortalité maternelle, on voit qu’il y a encore trop de femmes qui n’ont pas le nombre de
consultations prénatales.
Donc, quand on parle de la mortalité maternelle, c’est avant, pendant, au moment de la grossesse et même
après l’accouchement, parce que si la femme ne récupère pas bien, elle peut tomber enceinte et même
mourir puisqu’étant trop faible. C’est beaucoup plus long comme processus et les interventions doivent avoir
lieu à différents niveaux. Par exemple, si une femme est en âge de procréer, elle rentre dans le mariage. Il
faudra que les gens la sensibilisent sur l’importance de l’espacement des naissances. C’est un élément
important.
Pour les femmes multipares, cela fait partie de l’un des argumentaires : plus vous avez des enfants, plus vous
avez des risques de mourir, surtout si les grossesses sont rapprochées. Donc, un bon espacement des
naissances, c’est la première chose que l’on doit faire pour réduire la mortalité maternelle. Si nous atteignons
27 % de taux de prévalence contraceptive, dans deux ou trois ans, cela aura un impact sur la mortalité
maternelle dans quelques années.
C’est pour cela que je dis ça ne sera pas possible en 2015. Mais, les initiatives comme la césarienne
pourraient aussi jouer un rôle important dans la réduction de la mortalité maternelle, car beaucoup de femmes
qui mourraient n’avaient pas accès à cette méthode. Nous avons pris plusieurs initiatives pour ce qui
concerne les banques de sang que nous voulons décentraliser dans les régions. L’une des principales
causes de la mortalité maternelle au Sénégal restent les hémorragies. Il y a des actions sur les différentes
causes de la mortalité maternelle, mais je ne pense pas qu’elles nous permettront, en quelques mois,
d’atteindre les Omd. Il faut tout faire pour s’en rapprocher.
La lutte contre Ebola a dominé l’année 2014. Le système de santé du Sénégal est-il assez solide pour
contenir d’éventuelles épidémies ?
Aucun système de santé dans le monde n’est assez solide si Ebola prend une certaine ampleur. Pour
preuve, des pays comme l’Espagne et les Etats-Unis étaient paniqués devant quelques cas importés en
prenant des mesures d’isolement, de confinement, etc., alors qu’ils ont un système de santé solide. On sait
que dans les pays en développement, le Sénégal n’est pas exempt, parce que nos systèmes de santé sont
fragiles. Mais le système sanitaire sénégalais, comparé à d’autres de la sous-région, est relativement bon.
Nous l’avons testé pendant l’épidémie à virus Ebola. Il y a eu beaucoup d’alertes, c’est-à-dire des personnes
suspectes. Soit elles étaient parties en zone d’épidémie ou elles sont ressortissantes des pays touchés. Et
chaque fois que ces personnes ont eu une diarrhée ou une fièvre, le personnel de santé gérait la situation
jusqu’à ce que l’on fasse le prélèvement, que cela aille à l’Institut Pasteur et revenir négatif. C’était une
manière, pour nous, de tester le système et à chaque fois d’apporter des rectificatifs si c’est nécessaire. S’il
s’agit de quelques cas, je n’ai aucun doute que le système de santé sénégalais peut gérer la situation, mais
si c’est une épidémie, il aura des difficultés, comme les autres systèmes africains. En conséquence, nous
faisons tout pour ne pas avoir une épidémie. Avec le soutien de la coopération chinoise, nous allons former,
une fois encore, tous les acteurs de santé. Nous allons utiliser Ebola pour renforcer notre système de santé.
Sur le plan social, nous avons constaté une certaine accalmie l’année dernière. Cela veut-il dire que toutes les
revendications des syndicats sont satisfaites ?
Je ne peux pas dire ça vraiment. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de négociations pendant l’année. En
2014, il y avait des grèves. Nous avons eu des négociations avec les syndicalistes. Il faut dire qu’il y a un
climat de confiance. Nous avons de bons rapports.