JOURNÉE MONDIALE DE LA FEMME RURALE À LA DECOUVERTE DE YARAM FALL, DEFENSEURE DU FONCIER MARITIME

Défenseure invétérée de l’accès des femmes au foncier en général, au foncier maritime en particulier, Yaram Fall est transformatrice et une des rares femmes au Sénégal à être propriétaire de pirogues. Elle a dû abandonner les études après un baccalauréat obtenu en 1997 avec la mention ‘’Très bien’’, suivi d’une réussite au concours d’entrée à l’École nationale des cadres ruraux pour être ingénieure agronome. En cette journée dédiée aux femmes rurales, ‘’EnQuête’’ est allé à sa rencontre.

 

Elles sont des centaines de femmes. Tous les jours, elles s’activent autour du poisson, des autres produits halieutiques, pour avoir de quoi nourrir leurs familles. Elles, ce sont les femmes transformatrices. Souvent, quand on parle de foncier, on a tendance à les oublier. Pourtant, autant, sinon plus que tous les autres, elles ont aussi besoin de cette ressource de plus en plus rare dans le domaine maritime, pour mener leurs activités. La quarantaine, teint noir, Mme Niang Yaram Fall en a fait son cheval de bataille, depuis plusieurs années. En cette Journée mondiale des femmes rurales célébrée le 15 octobre, ‘’EnQuête’’ est allé à la découverte de cette militante, leader infatigable, engagée pour le progrès non seulement de sa communauté, mais aussi des femmes, partout où elles se trouvent, dans le cadre notamment de la campagne ‘’Stand for her land’’ pour l’effectivité et la sécurisation des droits fonciers des femmes pilotée par Cicodev Africa, pour le compte de l’Alliance nationale femmes et foncier.

Elle aurait pu être ingénieure agronome, universitaire, femme de lettres ; elle a tout abandonné pour se consacrer, entièrement et passionnément à sa famille, à sa communauté. Depuis la fin des années 1990, ‘’Yaram’’ comme on l’appelle affectueusement dans la langue de Barbarie, a abandonné ses études pour devenir transformatrice de produits halieutiques.

Aujourd’hui, elle dit ne rien regretter. ‘’J’avoue que j’avais quitté l’école par un concours de circonstances. Je venais juste d’avoir mon baccalauréat A3 avec la mention ‘Très bien’ en 1997 ; j’avais aussi passé et réussi le concours d’entrée à l’École nationale des cadres ruraux pour être ingénieur agronome. Malheureusement, je n’ai pu y aller, pour des contraintes familiales. Je devais m’occuper de ma mère qui était un peu souffrante. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas fait d’études supérieures, mais je ne le regrette pas’’, confie la vice-présidente de la Fenagie pêche (Fédération nationale des GIE de pêche au Sénégal), fière du parcours qui a été le sien.

Fille de l’une des premières femmes mareyeuses du Sénégal et d’un père pêcheur que l’on ne présente pas à Guet-Ndar, Yaram Fall a vite trouvé sa voie après avoir abandonné l’école française. Dans une langue de Barbarie où les filles ayant un certain niveau d’études se comptaient, elle est vite devenue celle vers qui nombre de femmes se tournent pour les tâches ‘’intellectuelles’’ dans la conduite de leurs affaires. Le GIE Bok Xol Jambaari Sine que dirigeait sa tante n’a pas tardé à faire d’elle une sorte de secrétaire à tout faire. ‘’Cela avait commencé avant même de quitter l’école, dans les années 1995-1996. Chaque fois que la présidente recevait une correspondance, elle m’appelait pour la lui lire et expliquer. J’étais aussi chargée de convoquer les membres, d’organiser les réunions, de prendre les procès-verbaux des réunions, d’exécuter certaines commissions… Au début, c’était surtout pour accompagner les femmes. Mais au fur et à mesure, l’amour m’est venu et j’en ai fait une vocation’’.

Ces goulots qui étranglent les femmes

1996-2023, c’est près de 30 ans de lutte aux côtés des femmes transformatrices de Saint-Louis ; plusieurs acquis qui font la fierté de cette militante convaincue de la cause des femmes et des ruraux. En première ligne dans la défense du foncier maritime en général, de l’accès à ce foncier pour les femmes en particulier, Yaram Fall ne rate pas une occasion pour faire le plaidoyer. ‘’On ne saurait réduire la problématique de l’accès au foncier à l’agriculture. Les éleveurs aussi sont concernés avec le foncier pastoral. Mais la pêche et les métiers connexes sont aussi concernés et c’est tout le sens du plaidoyer en faveur de la prise en compte de ces professionnels dans le cadre de la gestion du foncier maritime’’, soutient la transformatrice, qui ajoute à son argumentaire : ‘’Vous savez, les quais de pêche, les sites de débarquement, les unités de conservation et de transformation des produits halieutiques ne se trouvent pas sur mer. C’est nécessairement sur terre. Et dans la ville de Saint-Louis, et même sur les 718 km de côtes, tous les espaces maritimes sont pris par l’agrobusiness, les complexes hôteliers, les promoteurs immobiliers… Il est de plus en plus difficile de trouver des espaces pour exercer nos activités.’’

Pour les femmes, accéder au foncier en général, maritime en particulier, a souvent été un véritable parcours du combattant. Au GIE Bok Xol Jambaari Sine, il aura fallu plusieurs années de lutte pour avoir un site adéquat, plus de 1,600 ha de terres, dans un coin paradisiaque, coincé entre l’océan Atlantique et le fleuve, à un jet du quai de pêche de Diamalaye, non loin des complexes hôteliers situés à Hydrobase. Un site très convoité par certains hommes et des autorités, sous le prétexte que c’est trop grand pour les femmes. ‘’S’il n’y avait pas la détermination de ces braves femmes, on nous aurait déguerpi depuis. Or, quand on intégrait ici dans les années 2010, personne n’en voulait. En temps de campagne, à une certaine heure, il était presque impossible de trouver un véhicule pour rentrer, tellement c’était vide. Maintenant qu’on l’a mis en valeur, que l’activité économique est venue nous trouver, on a voulu nous le prendre. Naturellement, on s’est battu pour que cette forfaiture ne puisse pas prospérer’’, se réjouit Mme Niang qui ne baisse pour autant pas la garde.

Très tenaces, Yaram et Cie, qui avaient acquis ce site sous le magistère de feu le maire Ousmane Masseck Ndiaye, ont longtemps couru derrière l’acte de délibération pour accéder à certaines propositions de financement. En vain. De ce fait, elles ont vu filer plusieurs partenaires, dont la Banque mondiale. Aujourd’hui, elles ont eu la délibération sous le règne de Mansour Faye, mais se battent toujours pour la sécurisation du titre, en vue de se mettre à l’abri de toute nouvelle tentative d’expropriation. Présidente du Collège national des femmes du Cadre national de concertation des ruraux (CNCR), Yaram Fall en profite pour parler des difficultés des femmes quant à l’effectivité et la sécurisation des droits fonciers des femmes. ‘’La première contrainte que nous avons est d’ordre culturel. Ensuite, il y a les barrières religieuses, les contraintes économiques, mais surtout le déficit d’information’’, plaide-t-elle non sans souligner qu’elle-même en souffre, puisqu’elle fait partie de la liste des 19 personnes qui restent à déguerpir au niveau de la langue de Barbarie. ‘’Peut-être ils me passeront sur le corps, mais je ne suis pas prête à partir. On veut nous jeter à Goudioup, derrière l’université, dans des maisons de 150 m2, sans indemnité, alors que nous avons toujours habité près la mer, dans des maisons de 220 m2. Ils exigent des titres fonciers pour être indemnisés, alors qu’ils savent très bien que dans ces quartiers anciens, personne n’a de titre. Nous n’allons pas l’accepter’’, avertit la femme transformatrice, également parmi les rares femmes à être propriétaire de pirogues.

GIE BOK XOL JAMBARI SINE

‘’Nous faisons 80 millions de chiffre d’affaires’’

Dans le site de transformation du poisson communément appelé ‘’sine’’, plus de 600 femmes gagnent quotidiennement leur vie. Plus de 400 sont membres du GIE Bok Xol Jambari Sine. Grâce à un appui du Bureau de mise à niveau, ce groupement est parvenu à davantage se formaliser, avec l’établissement, chaque année, des états financiers, l’ouverture d’un compte bancaire…

En 2020, le chiffre d’affaires cumulé des membres était estimé à 64 millions F CFA. Maintenant, c’est à 80 millions. Avec les investissements en cours, la structure compte booster les recettes, au grand bonheur de ses membres, plaide la gérante qui revient également sur les sources de financements du GIE : ‘’Nos ressources proviennent essentiellement du pesage et d’autres activités. Par exemple, il y a des femmes qui viennent d’autres localités et qui écoulent leurs produits ici. Il y a des redevances qu’elles paient. De plus, si des clients font des commandes auprès du GIE, nous avons des commissions…’’    

Grâce à ces ressources, le GIE, qui compte huit employés à temps plein, arrive aussi à approvisionner ce qu’elle appelle la ‘’calebasse de solidarité’’, un fonds modeste qui lui permet de venir en aide à ses membres en difficulté face à la cherté et aux contraintes liées à l’accès au crédit bancaire. ‘’Les membres peuvent emprunter pour s’approvisionner en matières premières ou bien pour faire face à des urgences familiales de toutes sortes. Pour les mauvais payeurs, on leur interdit tout simplement de faire de nouveaux emprunts.

La calebasse a aussi cette particularité de ne pas prélever des intérêts. On rembourse ce qu’on a emprunté. C’est vraiment un fonds basé sur la transparence, l’équité et la solidarité.’’ De l’avis de Mme Niang, ces braves dames d’affaires doivent être davantage accompagnées par les autorités. La défenseure des femmes n’a pas manqué d’offrir en exemple, en cette Journée de la femme rurale, le maire de Toubacouta qui a récemment octroyé 2,010 ha à usage d’habitation aux femmes. ‘’Les autres doivent s’inspirer de ces bons exemples’’, plaide-t-elle, avec beaucoup de conviction.

 

Source :L’Enquete du 16 octobre 2023

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