Au Sénégal, le secteur de la pêche a été durement impacté par la pandémie liée au Coronavirus, plongeant plusieurs acteurs dans une grande précarité. Loin de se laisser abattre, pêcheurs et petits vendeurs du marché au poisson de Soumbédioune développent des mécanismes de résilience pour assurer leur survie.
16h au quai de pêche de Soumbédioune, les étals de poissons luisent sous les rayons du soleil en ce 18 juin 2020. Assise devant son commerce, Awa Ndiaye la trentaine, peine à trouver des acheteurs. « C’est très difficile en cette période de pandémie d’avoir des clients, les autorités ont demandé d’apprendre à vivre avec le virus et depuis lors, le couvre-feu a été amené de 20h à 23h. Malgré cela, rien à faire, les clients arrivent par compte-goutte », regrette Awa. Le regard perdu face à l’étendu de la mer, elle raconte sa misère: «avec mes amies vendeuses nous sommes parfois obligées de bazarder nos poissons pour pouvoir subvenir aux besoins de nos familles. Par exemple, au mois de mai, en pleine crise de coronavirus, nous vendions à 15 mille francs Cfa (environ 25 dollars Us) la caisse de Dorades grises qui coutait avant la pandémie 35 mille francs Cfa (environ 60 dollars US).
Comme Awa Ndiaye, elles sont nombreuses les vendeuses de poisson du marché de Soumbédioune, dans la corniche ouest de Dakar, à voir leurs chiffres d’affaires en baisse. Pour faire face à la pandémie, le président Macky Sall a déclaré l’état d’urgence le 23 mars couplé d’un couvre-feu de 20 heures à 6 heures. Plusieurs quais de débarquement à l’image de Soumbédioune n’ont été que partiellement ouverts. Deux mois après, l’état d’urgence a été prolongé et le couvre-feu allégé mais au marché de poisson de Soumbédioune, la situation n’a pas vraiment changé. D’autant plus que la maladie prend de l’ampleur au Sénégal avec 6354 cas testés positifs et une centaine de décès depuis le 2 mars, date d’enregistrement du premier cas positif.
17 % des recettes d’exportations nationales en 2018
« L’arrêt des exportations engendré par la pandémie a sonné comme une catastrophe pour les sociétés agréées à fournir des produits frais vers des pays comme la France, l’Espagne et l’Italie. On ne voit plus ces clients majeurs avec la fermeture des frontières maritimes », soupire le mareyeur Mame laye. Père d’une famille composée d’une dizaine de personnes, il a vu sa vie complètement chamboulée: « je donne une dépense quotidienne de 13 mille francs (environ 20 dollars Us) pour nourrir ma famille. Avec l’arrivée de la maladie, les affaires ont baissé et j’ai été obligé de puiser dans mes économies…aujourd’hui avec l’allègement progressif, je dois reconstruire ma vie », explique Mame Laye, assis sous un arbre au bord de la mer, attendant désespérément que la situation change.
« J’achète les produits auprès des piroguiers pour ensuite les distribuer ». A chaque débarquement, le mareyeur parvenait à avoir entre 100 000 Cfa et 150 000 Cfa (170 et 260 dollars Us). « Avec cette reprise timide des activités, je parviens difficilement à obtenir 50 000 Cfa (environ 86 dollars Us) » dit-il. Cette baisse est ressentie par les usines d’emballage qui fonctionnent désormais à mi-temps, envoyant des milliers de jeunes et de femmes au Chômage.
Le secteur de la pêche a été fortement touché par la pandémie et cela aura des conséquences sur l’économie du pays car la pêche représente près de 17 % des recettes totales des exportations nationales en 2018. Si on ajoute les autres produits halieutiques sur la balance, la pêche est le second poste d’exportation (après l’or) et l’une des principales rentrées des devises étrangères pour le Sénégal, informe le directeur des pêches maritimes du Sénégal, M. Mamadou Goudiaby.
650 000 emplois impactés
La pandémie a impacté les emplois au marché de poisson de Soumbédioune en amenant au chômage plusieurs jeunes: « Plusieurs d’entre nous ont arrêté de venir au quai car cela ne sert à rien de pêcher si on ne peut pas vendre. Les usines chinoises ont considérablement diminué leurs recrus », peste le président des jeunes pêcheurs de Soumbédioune.
450 000 tonnes de poissons sont pêchées annuellement au Sénégal dont 80 % issus de la pêche artisanale et exploités par les fabriques gérées en majeure partie par des étrangers, particulièrement des chinois. En somme, toute la chaine qui génère plus de 650 000 emplois directs et indirects du secteur de la pêche a été affectée. Et pire encore, ces pères, soutiens et mères de familles, font vivre plusieurs millions de personnes. Pêcheurs, petits vendeurs, mareyeurs, distributeurs, fabriques de transformation. Personne n’a échappé aux conséquences désastreuses du coronavirus.
Pour Ndeubane fall 83 ans et son ami Baye Samba Fall 75 ans, tous deux anciens pêcheurs, cette crise a l’allure d’un drame dans leur vie. « C’est à travers une chaine de solidarité instituée ici que nous parvenions chaque jour à apporter la dépense chez nous. Les anciens pêcheurs sont coptés pour encadrer les jeunes sur le rivage en veillant à l’organisation du quai, en contrepartie, nous recevions du poisson et environ 3000 francs Cfa chaque soir. Avec le couvre-feu nous sommes obligés de quitter chaque jour très tôt pour rallier nos familles dans la banlieue Dakaroise. Et pour s’éviter la foudre des forces de l’ordre, il faut prendre un taxi à 2000 francs. Finalement on arrive chez nous fatigué avec seulement 1000 ou 500 Fcfa en poche (moins de 2 dollars) », confie le vieux Ndeubane les bras perchés sur une pirogue accostée.
De la vulnérabilité à l’action
Debout face aux vagues de la mer de Soumbédioune, le mareyeur Mame Laye a le regard figé sur son téléphone portable régulièrement effleuré par des doigts habiles. La pandémie a obligé ce père de famille à développer un système de résilience pour mieux s’adapter à la situation. « Au lieu de rester au marché de poissons et vendre à perte, je préfère sillonner les quartiers de Dakar avec mon équipe pour vendre mes poissons. Chaque jour, nous parcourons des kilomètres pour aller vers les familles et vendre nos produits. La vente en ligne que nous avons découverte avec cette pandémie, connait également un gros succès et nous permet d’écouler facilement nos produits. A travers WhatsApp et Facebook nous exposons nos produits et obtenons beaucoup de commandes », confie le mareyeur.
En plus de la vente en ligne qui a la côte par ici, les jeunes pêcheurs ont trouvé une autre stratégie d’adaptation consistant à utiliser leurs économies antérieures pour acheter des moutons ou des pondeuses. De la pêche à l’élevage, ces férus de la mère ont trouvé un pont de douceur pour assurer leur survie. «En 40 jours seulement, les pondeuses atteignent leur maturité et rapportent des bénéfices. A l’approche de la fête de l’Aid El fitr j’ai pu écouler une cinquantaine de poulets et cela m’a permis d’assurer à la famille une célébration digne», explique le jeune Abdoulaye qui prévient qu’il n’abandonnera jamais la pêche, pratique ancestrale dans sa famille.
La mère de famille, Awa Ndiaye à l’image de plusieurs femmes du marché au poisson a pris l’option de multiplier les prêts auprès de ses clients: «l’idée pour nous est de tout faire pour écouler nos produits avant qu’ils ne pourrissent entre nos mains. Nos clients donnent une partie de l’argent comme avance et le reste est un prêt qu’ils paient après. Ce système marche bien et il nous permet d’assurer la dépense car, parmi les femmes qui officient ici, beaucoup sont des veuves qui se retrouvent avec des enfants à nourrir et à gérer seules», partage Awa.
Laissées à eux-mêmes, de la nécessité de s’organiser ou périr
Dans le cadre de la gestion de la pandémie, l’Etat du Sénégal a développé un plan de riposte et de solidarité contre les effets du Coronavirus. Dénommé Forces Covid-19, ce plan d’un montant global de 1000 milliards de francs CFA (environ 1,3 milliards de dollars Us) est alimenté par plusieurs fonds en provenance de différents acteurs. Ici au quai de pêche de Soumbédioune, les occupants avouent n’avoir rien vu. « L’autorité nous a laissés à nous-mêmes. Aucun membre de ce marché n’a reçu de l’aide des forces Covid-19», fulmine les pêcheurs artisanaux de Soumbédioune. A la Direction des pêches maritimes (DPM), on tente de rassurer en leur promettant une partie des aides alimentaires qui seront octroyées à un million de ménages vulnérables.
Conscients de leur précarité, les occupants du quai de Soumbédioune souhaitent un appui financier comme tous les autres secteurs impactés. Mais ce qu’il leur faut d’abord, c’est une organisation comme dans le passé. « Il n’y a pas une bonne organisation par ici, dans le passé il y avait des groupements bien structurés mais actuellement c’est chacun pour soi et cela n’arrange pas les choses, il nous faut de l’organisation », déplore Oumar Diagne Sow qui tente vaille que vaille d’organiser les pêcheurs artisanaux à travers sa jeune association dénommée Union nationale des pêcheurs artisanaux du Sénégal. Sac en bandoulière et très en verve, l’homme sillonne les quais de pêche artisanaux pour faire adhérer les différentes couches à sa cause. « Je veux une organisation forte et structurée parlant d’une seule voix et capable de changer positivement les conditions de vie dans le secteur de la pêche artisanale où les gens sont souvent marginalisés », décline Oumar Diagne Sow comme objectif principal à atteindre absolument.
La pêche artisanale fait partie du secteur informel, elle doit être soutenue pour faire face aux charges et se relancer dans un court terme. La filière doit développer une bonne structuration pour mieux anticiper les crises liées à la pandémie et aux récurrents changements climatiques. Et elle doit être aidée en cela puisque l’écrasante majorité de ceux qui la pratiquent sont issus des couches vulnérables et vivent dans une promiscuité poussée.
Le soleil se couche sur le marché au poisson de Soumbédioune et déjà, pêcheurs, vendeurs et mareyeurs songent au couvre-feu et commencent à plier bagages. Mais pour un groupuscule de jeunes pêcheurs téméraires, l’heure est aux préparatifs mystiques de leur pirogue pour affronter les dangers de la mer. « Ils jouent leur survie », lance Mame Laye qui semble bénir l’initiative.
Léna Bâ (article publié par AFSA dans son livre, « histoires de coronavirus en Afrique : perspectives sur les défis de la COVID-19 pour les moyens de subsistances et les systèmes alimentaires) »