Le financement des soins de santé primaires reste l’un des talons d’Achille du système sanitaire sénégalais. Plusieurs experts ont tiré la sonnette d’alarme sur le désengagement progressif de l’État et l’insuffisante implication des collectivités territoriales.
Des soins essentiels, mais négligés
Les soins de santé primaires concernent, selon Amadou Kanouté, directeur exécutif de CICODEV Afrique (Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement), toutes les maladies qui touchent la majorité de la population, notamment les maladies non transmissibles (MNT) telles que le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, mais aussi les services de base comme la vaccination. Ces soins, dit-il, sont à la base de la pyramide sanitaire, là où se rendent le plus grand nombre de patients. Il s’est exprimé dans le cadre d’une session d’information et d’échanges organisée avec l’Association des journalistes en santé, population et développement (AJSPD).
Pourtant, le financement public reste largement en deçà des besoins. « L’État n’y accorde pas trop d’importance », déplore Amadou Kanouté. “Seulement 15,3 % du financement provient de l’État, tandis que 55,9 % sont directement supportés par les ménages”. Il dénonce un système devenu inéquitable : “Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est un détournement de l’esprit d’Almada. Les soins de santé primaires devaient être équitables et centrés sur la prévention. Aujourd’hui, ce sont les ménages qui supportent la plus grande part du fardeau”.
Le payement direct pour consultation, médicaments et examens représente une charge immédiate et lourde pour des populations déjà précaires. “On laisse la santé à la population, dans un pays sous-développé, avec une population pauvre. À ce rythme, on va où ?”, s’interroge-t-il. Avant de prévenir : « Sans bonne santé, pas de développement durable, pas de capital humain, pas de dividende démographique.”
Une vision partagée par le corps académique
Le professeur Issakha Diallo, chef du Département de santé publique à l’université Amadou Hampâté Bâ, abonde dans le même sens. « Les soins de santé primaires sont l’arme nucléaire pour atteindre la Couverture sanitaire universelle (CSU) », a-t-il affirmé, insistant sur l’importance de la prévention, de l’équité, d’un environnement sain et de l’utilisation de technologies adaptées.
Pour le spécialiste, « tout l’argent a été mis sur les structures hospitalières en négligeant l’environnement », alors que santé et conditions de vie sont intimement liées. Il rappelle que la CSU ne peut être atteinte sans une action multisectorielle sur les déterminants sociaux de la santé : alimentation, accès à l’eau potable, assainissement, activité physique, éducation.
« Il faut agir pour que les gens ne tombent pas malades », martèle-t-il, soulignant que seulement 1,2 milliard F CFA est affecté à la prévention. Un montant dérisoire face aux enjeux.
Les collectivités locales, leviers oubliés
Face au retrait progressif de l’État, la responsabilité des maires devient cruciale. Mamadou Diouf, directeur de la Cellule d’appui aux élus locaux, appelle les collectivités à s’approprier les enjeux. “Un maire qui croise les bras n’a pas le même impact que celui qui porte le plaidoyer et va chercher les bailleurs“, explique-t-il.
Il recommande aux élus de se tourner vers des financements domestiques alternatifs que sont, entre autres, les forums économiques locaux, le mécénat, les fonds miniers, le contenu local. Même si l’État a récemment annoncé une hausse de 5,5 milliards F CFA des fonds de dotation, M. Diouf estime que cela reste insuffisant.
Selon lui, une meilleure structuration du financement permettrait non seulement de renforcer les structures sanitaires de base, mais aussi de réduire les évacuations vers les hôpitaux aujourd’hui surchargés. “Si on équipe bien à la base, on désengorge en haut. C’est simple, mais il faut une volonté politique et un engagement local”.
Un appel à la mobilisation citoyenne
Pour les acteurs, le changement viendra aussi d’une citoyenneté active. “Si les citoyens ne surveillent pas les engagements de l’État, celui-ci finit par s’endormir”, avertit-il. Il plaide pour une population informée, consciente de ses droits et capable de demander des comptes. “Rassurons les populations. Elles doivent savoir qu’en allant au poste de santé, elles pourront se faire soigner sans se ruiner. La barrière financière est un obstacle majeur. Il faut la lever”.