Education, terrorisme, économie, démographie… Assurant vouloir tourner la page de la Françafrique, Macron a développé sa vision du continent.
«Il n’y a plus de politique africaine de la France», a dit Emmanuel Macron. La phrase peut résonner comme une promesse de transparence, version renouvelée de la «fin de la Françafrique» sans cesse ressassée par les présidents français. Plutôt que d’évoquer un «passé qui doit passer», le chef de l’Etat a choisi de parler des «défis» qui attendent le continent, sans «donner de leçon». Retour les points saillants de son discours.
Education : la France pas assez solidaire
Faire de l’éducation «la priorité absolue» du nouveau «partenariat»avec l’Afrique. Doubler les partenariats universitaires avec le continent. Créer un passeport talents pour permettre à des milliers de jeunes supplémentaires de venir en France. Macron l’a martelé : il sera aussi «du côté de tous les chefs d’Etat africains qui feront le choix de la scolarisation obligatoire des jeunes filles». L’éducation est l’enjeu essentiel de l’avenir de l’Afrique. En République centrafricaine, on compte seulement un enseignant pour 80 élèves. Au Niger, seulement 17 % des filles et des femmes âgées de 15 à 24 ans savent lire et écrire. Au Soudan du Sud, 73 % des filles ne vont pas à l’école primaire. Dans un rapport publié le mois dernier, l’ONG ONE demande à la France «d’annoncer au plus vite sa contribution au Partenariat mondial sur l’éducation, car elle pourra entraîner d’autres donateurs». Et plaide pour que Paris contribue à hauteur de 300 millions de dollars (environ 250 millions d’euros) pour la période 2018-2020. Alors que la France n’a lâché que 17 millions d’euros en trois ans.
Si la France veut tenir ses promesses, il va falloir un virage radical de sa politique de solidarité. En 2015, seulement un quart de l’aide bilatérale de la France à l’éducation était alloué aux pays d’Afrique subsaharienne, dont à peine 4 % à destination de l’éducation primaire. A titre de comparaison, rappelle la coalition Education, le Royaume-Uni consacre à l’éducation primaire en Afrique subsaharienne 30 % de son aide à l’éducation. En 2016, 14 % des fonds de l’Agence française de développement (principal opérateur de l’aide bilatérale française) étaient destinés au développement du secteur privé… quand 3 % et 4 % étaient alloués à la santé et à l’éducation. Oups. Paris devra donc vraiment aussi booster son aide publique au développement
Démographie : le retour d’un sujet tabou
Mea culpa sur la sortie désastreuse autour du «défi civilisationnel» de la démographie africaine : «Une erreur», a admis mardi Macron à Ouagadougou. Pour autant, pas question d’éluder le sujet. «Le nombre d’enfants par femme, ça ne se décrète pas, c’est un choix intime. […] Mais quand une femme a 7, 8, 9 enfants, êtes-vous bien sûr que c’est véritablement son choix ?» Le locataire de l’Elysée réaffirme l’impossibilité du développement pour les pays où «la croissance démographique est supérieure à la croissance économique». Argument discutable. «C’est un peu rapide car la croissance économique est aussi portée par la croissance démographique», corrige un responsable de l’Agence française de développement, qui admet cependant : «Si la courbe démographique ne s’inverse pas dans les années qui viennent, les pays du Sahel vont exploser.»
Reste que le continent peut tout à fait absorber 2,5 milliards d’habitants en 2050, voire 4,4 milliards en 2100, selon l’Institut français d’études démographiques. Sans que, par ailleurs, cela ne joue forcément sur la lutte contre le changement climatique si l’Afrique ne reproduit pas les mêmes erreurs de développement que les pays riches : asseoir leur essor sur l’énergie fossile. Ou n’entraîne obligatoirement un essor des famines, qui résultent d’un problème de distribution, pas de production. Mais l’enjeu, à court terme, est aussi financier. Ainsi, la croissance prévue de la population infantile en Afrique (750 millions en 2030) nécessitera un essor de plus de 11 millions de personnels qualifiés en éducation et en santé, analysait en octobre l’Unicef. Une donnée qui n’a pas échappé aux conseillers du chef de l’Etat, vu la priorité donnée à l’éducation. Comme l’impératif du «droit et la santé sexuels et reproductifs», au cœur du discours de Macron. En octobre 2016, le gouvernement a publié sa stratégie intitulée «L’action extérieure de la France sur les enjeux de population, de droit et santé sexuels et reproductifs 2016-2020». Une stratégie ambitieuse… sans aucun budget associé. Par ailleurs, alors que la Couverture santé universelle (CSU) est portée depuis de nombreuses années auprès de l’OMS, le chef de l’Etat n’en a pas touché un mot. Mais plutôt évoqué l’idée de renforcer les systèmes de santé via «les fonds d’investissement privés et les assureurs français». «Très inquiétant», confie Michael Siegel, directeur du plaidoyer d’Oxfam. Ce recul sur la CSU laisse planer le spectre du retour de la privatisation des systèmes de santé en Afrique, comme dans les années 80.»
Migrants : la traque des trafiquants
Il ne pouvait pas ne pas l’évoquer. Après la diffusion de la vidéo de CNN montrant ce que la chaîne de télévision américaine a qualifié de «marché d’esclaves» en Libye, et qui a indigné une grande partie de l’opinion publique, Macron avait parlé de «crime contre l’humanité». Il a à nouveau prononcé ces mots à l’université de Ouagadougou ce mardi. Ce sordide trafic de migrants est «le stade ultime de la tragédie des routes de la nécessité», a déploré le chef de l’Etat. Il a annoncé qu’il proposerait mercredi, au sommet UE-Afrique d’Abidjan, «une initiative euro-africaine contre la stratégie des trafiquants», afin de «frapper les organisations criminelles» et d’apporter un «soutien massif à l’évacuation des personnes en danger». Sans préciser le contenu concret de son initiative. «Nous saluons cette énergie déployée par le président de la République, commente Jean-François Dubost, d’Amnesty International. C’est très bien de vouloir s’attaquer aux passeurs et de vouloir protéger les migrants, mais il manque cependant un élément clé : rien n’a été dit sur la politique de l’UE en Libye. Or c’est là que le bât blesse. L’Europe forme les gardes-côtes libyens, coopère avec les autorités pour renforcer les contrôles… Tout cela contribue à piéger les migrants dans un pays où les droits humains sont bafoués.»
Le chef de l’Etat a défendu sa politique des «hot-spots» au Niger et au Tchad, où des fonctionnaires de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofrpa) préexaminent les demandes d’asile des Africains sélectionnés par le Haut-Commissariat aux réfugiés. «Le principe de ces centres est bon, même si le chiffre de 3 000 personnes accueillies en France est un peu faible, poursuit Jean-François Dubost. Et il faut être vigilant sur les contreparties : le renforcement des contrôles aux frontières doit prendre en compte le risque de mise en danger des migrants qui pourraient emprunter des routes de plus en plus dangereuses.»
Terrorisme : le soutien aux soldats français
Pour la première fois, Emmanuel Macron est venu dans le Sahel sans (trop) parler de terrorisme. Mais il a consacré une large partie de son discours à la lutte contre «l’obscurantisme». «C’est parfois une menace plus redoutable que le terrorisme, a précisé le président français aux étudiants de l’université de Ouagadougou. Ne laissez jamais la religion vous convaincre qu’elle est une entreprise de destruction de l’autre.» Le chef de l’Etat a rendu hommage au roi du Maroc, en tant qu’autorité musulmane, pour son rôle dans la lutte contre «l’extrémisme religieux». De façon plus surprenante, il a aussi cité l’Arabie Saoudite. «Le passage le plus sensible diplomatiquement a concerné le financement de l’obscurantisme : il a adressé ses félicitations à Rabat, un accessit à Riyad, et appelé le Qatar, la Turquie et l’Iran à leur emboîter le pas, note le chercheur Yvan Guichaoua. Cela alimente l’idée que le jihad vient d’ailleurs. Ce qui est faux : il y a en réalité des causes très locales.»
Par ailleurs, Emmanuel Macron a mal supporté qu’une étudiante lui reproche la présence des militaires français au Sahel : «Je préférerais vous envoyer beaucoup moins de soldats ! a-t-il répondu. Imaginez que vous êtes une jeune femme qui vit à Angoulême. […] Elle a son jeune frère qui se bat dans les troupes françaises et qui est peut-être mort ces derniers mois pour vous sauver. Et vous vous la remerciez en me disant ça ? […] Vous ne devez qu’une chose pour les soldats français : les applaudir !» Le Président a aussi rappelé que pendant la Seconde Guerre mondiale, des Africains étaient venus en Europe se battre pour la France. «Macron a demandé un soutien inconditionnel en évoquant les sacrifices consentis par les Africains pour la France en d’autres temps, comme François Hollande au moment de Serval. Il insiste sur la notion de solidarité, décrypte Yvan Guichaoua. Mais il occulte le fait que le contre-terrorisme est aussi une affaire politique.»
Économie : le défi du franc CFA
Pas une seule fois lors de son discours fleuve son nom n’aura été prononcé. Faut-il y voir la preuve, comme l’a affirmé Macron en réponse à un étudiant burkinabé qui venait de l’interpeller sur le franc CFA que «c’est pour la France un non-sujet, mais pour vos dirigeants un vrai sujet de stabilité qu’il faut aborder avec beaucoup de tact». Il s’est même dit «favorable» à un changement du «nom» ou à un élargissement de son «périmètre». Mais là encore, à la condition que les Etats africains de la zone CFA le souhaitent et le décident eux-mêmes. Jamais un chef d’Etat français ne s’était exprimé de manière aussi explicite sur un sujet aussi sensible que l’avenir du CFA, ce franc de la Communauté financière africaine (CFA), la dernière des monnaies coloniales encore en activité dans le monde et qui concerne 155 millions d’habitants. Créée en 1945 par la France du général de Gaulle, quatorze pays africains l’utilisent toujours aujourd’hui. Une monnaie imprimée à Paris et régulièrement blâmée par des économistes qui estiment qu’elle freine le développement de ces pays sous la coupe d’une double tutelle: française et européenne. Certes, la réponse de Macron force désormais les chefs d’Etats et de gouvernements des pays de la zone CFA à prendre position. Mais tel un professeur devant ses étudiants, il a rappelé que le franc CFA apportait «une bonne chose, la stabilité monétaire», aux pays qui l’utilisent. A bon entendeur donc : si stabilité du CFA il y a, c’est justement parce que la France est là. Et c’est justement là l’essentiel de la critique de ses détracteurs. Ces derniers estiment que cette fixité monétaire entre l’euro et le CFA profite essentiellement à «une élite françafricaine rentière».
«Il est évident que cette monnaie ne profite pas aux populations locales. L’intérêt de l’intervention du chef d’Etat, c’est qu’elle va obliger les responsables politiques africains à nous expliquer pourquoi ils tiennent tant à ce lien de subordination monétaire», explique Kako Nubukpo, ancien ministre du Togo et coauteur de l’ouvrage Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. Arrimés à l’euro, les pays concernés n’ont pas la maîtrise de leur politique monétaire. Pire, le CFA est une monnaie surévaluée qui facilite les importations, mais qui pénalise les exportations. Un enjeu crucial zappé par Macron. Or, pour avoir toute la maîtrise de sa politique budgétaire (santé, éducation, infrastructure…) tout pays souverain qui se respecte marche sur deux jambes pour se développer : celle de sa politique budgétaire et celle de sa politique monétaire… Les pays africains n’ont que la première. Insuffisant pour asseoir une croissance endogène.
Culture : le patrimoine bientôt rendu ?
Sur la culture, outre une défense d’une «francophonie conquérante» et l’annonce d’une «saison des cultures africaines» en France en 2020, Emmanuel Macron a estimé que «le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens».Il a promis, vivement applaudi : «Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique.»
C’est une vieille question, et un motif particulier de tiédeur entre la France et le Bénin qui réclame depuis juillet 2016 le retour d’objets royaux emportés par l’armée française à la fin du XIXe siècle. La France (François Hollande était alors Président) avait officiellement refusé, arguant de son bon droit : ces objets ont bien été pillés, mais ils sont entrés en possession de la France par un don, «comme d’ailleurs la majorité des biens culturels africains présents dans les collections nationales», note Corinne Hershkovitch, avocate spécialisée dans le droit de l’art. Et à ce titre, ils sont tout simplement légalement inaliénables. Pour pouvoir les rendre, «il n’y a pas d’autre solution que de faire voter une loi au Parlement» pour en changer le statut, explique-t-elle.
La déclaration de Macron marque donc une rupture. S’il tient parole et qu’une telle loi est programmée, on voit mal comment d’autres pays pourraient ne pas, eux aussi, réclamer des objets obtenus lors des guerres coloniales – et le musée du Quai-Branly voir ses collections diminuer. L’association nationale des rois de Côte-d’Ivoire avait déjà fait mi-novembre une demande officielle de restitution de biens «mal acquis».
Source:Libération.fr