«LA PRESSE DOIT CHANGER SON ANGLE DE TRAITEMENT DE L’INFORMATION SUR LA CONTAMINATION»

Dans cet entretien accordé à «L’As», Amadou Kanouté, Directeur exécutif de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV) revient largement sur la gestion de la crise liée au nouveau coronavirus.

Dans cet entretien accordé à «L’as», le Directeur exécutif de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev) revient largement sur la gestion de la crise liée au nouveau coronavirus. Même si Amadou Kanouté avoue que la gestion de l’épidémie s’est révélée globalement positive, il affirme cependant que les derniers réajustements effectués par le gouvernement en rapport avec la stratégie de lutte ont donné un sentiment de relâchement ou de ‘’je m’en lave les mains’’. «L’AS» : Bientôt trois mois qu’est apparu le COvID-19 au Sénégal. Quelles appréciations faites-vous de la gestion de la crise sanitaire par les autorités sénégalaises ? Globalement, la gestion s’est révélée positive. Je ne veux juger que par les résultats à la date d’aujourd’hui face à une pandémie inconnue, fortement contagieuse et létale et en tenant compte de l’état de notre système de santé. Il s’agit en fait d’abord d’une course de vitesse pour assurer un équilibre entre nos capacités de prise en charge -sanitaire, sociale, économique- et le respect d’un droit consacré par notre Constitution : celui du droit humain à la santé. Et après viendra le marathon, car personne ne peut prédire jusqu’à quand nous allons devoir vivre avec le virus. Donc, j’ai une lecture globalement positive de la gestion de la crise en regardant quelques points qui peuvent être considérés comme des repères dans la gestion d’une crise comme celle que nous vivons. La grande mobilisation de tous les acteurs (État, société civile, secteur privé, religieux, OCB, media) a permis de dérouler des campagnes d’information et de sensibilisation sur les mesures et gestes barrières avec des résultats fort appréciables. Il en est ainsi de la réaction rapide dans la production des masques et son appropriation par les gens. Des protocoles de prise en charge du traitement comme le choix de l’hydroxychloroquine -où il s’est agi d’engager la responsabilité du personnel soignant- ont été vite utilisés dans un environnement incertain. Des mesures d’urgence souvent audacieuses, mais nécessaires ont été prises comme la fermeture des frontières, l’interdiction de manifestations publiques, la fermeture des lieux de culte et des écoles et universités; même si des atteintes aux droits humains ont été notées et des réajustements -certainement dus à des pressions sociales, religieuses et économiques- ont été opérés par la suite. Toutes choses qui ont donné un sentiment de relâchement ou de «je m’en lave les mains» à une grande frange de la population. Certes, le nombre de cas de décès augmente au quotidien, mais le taux de guérison à date tourne en moyenne autour de 40%. Ce qui est une performance comparativement à beaucoup d’autres pays. Face au risque de saturation ou de débordement de notre système sanitaire, des stratégies alternatives (prise en charge extra hospitalière) sont en train d’être explorées. Enfin, je me réjouis que le pays se soit doté d’un plan de contingence multisectoriel de lutte contre le COVID19. Le ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS) vient de le partager avec les acteurs de la société civile. Nous sommes en train de l’étudier. Ce que je retiens de ce développement, c’est que ce plan devrait aider à assurer et consolider la cohérence et la synergie des interventions des différents acteurs. Ce qui est extrêmement important. Votre organisation avait exprimé son désaccord quant à la réduction du budget alloué au secteur de la Santé lors du dernier marathon budgétaire. Avec la pandémie de la Covid19, l’histoire semble vous avoir donné raison… Absolument ! C’est comme une gifle pour nous obliger à revisiter nos priorités. Ce que nous regrettions dans cette baisse du budget, ce sont les contradictions et les revirements entre les engagements et les actes. Il y a deux ans, le pays a organisé un Forum national pour élaborer une stratégie de financement de la santé. Les différents acteurs (État, secteur privé, PTF) ont, chacun, pris des engagements. L’État s’était engagé à augmenter chaque année le budget du Msas de 2%. Voilà que pour le budget 2019-2020, on assiste plutôt à une baisse de 0,4%. Trois mois après, nous sommes rattrapés par cette pandémie qui nous oblige à chercher partout des ressources extrabudgétaires pour y faire face. Notre second regret, c’est qu’on a tendance à oublier la centralité de la santé dans toute politique de développement économique et sociale. On oublie trop vite que le capital humain est l’un des piliers du PSE. Et le capital humain, c’est d’abord des citoyens sains et aptes à créer des richesses. Au plan social, la stigmatisation à l’endroit des supposées victimes prend de plus en plus de l’ampleur. N’est-ce pas là une attitude dangereuse à laquelle il urge de prendre des mesures ? Savons-nous aujourd’hui combien de gens sont contaminés et refusent de se rendre dans les structures hospitalières par peur de la stigmatisation qui s’en suivrait si jamais leurs tests se révélaient positifs ? Combien de villages et de ménages refusent que leurs habitants ou parents soient déclarés positifs ? Avez-vous analysé ou observé quel traitement la presse fait des cas de contamination ? Elle titre à la une « un père de famille a infecté sa fille », « tel personne a infecté tel village ». Tout ceci peut paraître anecdotique, mais essentiellement on est en train de nous dire que cette maladie est honteuse et infamante. Aujourd’hui, la seule communication qui vaille - à côté des gestes barrières- est de «banaliser» cette maladie comme une maladie qui peut arriver à n’importe qui. Il nous faut montrer en modèle les personnalités publiques qui ont osé se prendre en vidéo pour déclarer leur maladie, les sages-femmes et autres agents de santé qui sont en première ligne. Il nous faut montrer et dire que cette maladie se soigne si on s’y prend tôt. La presse doit changer son angle de traitement de l’information sur la contamination. Les descentes des agents de santé qui viennent tester ou chercher ceux qui les appellent pour se signaler doivent se faire de manière plus discrète. Sinon, les cas dits communautaires vont continuer à augmenter car les gens vont rechigner à se faire tester, à se signaler. Et tout cela par peur de la stigmatisation. Etes-vous d’avis qu’il faut laisser circuler le virus et lever les mesures de restriction imposées par l’Etat ? Non ! Ce serait la meilleure manière de mettre à terre notre système de santé qui est déjà mal doté. Il s’agit plutôt d’adapter les mesures de restriction à notre situation socio-économique et culturelle. Quand bien même, nos autorités ont réduit et mis des contraintes à la mobilité, elles ont aussi très vite perçu que le modèle de confinement tel que pratiqué dans les pays développés ne pouvait pas marcher chez nous : pas d’eau courante dans toutes les maisons, pas de courant pour garder les aliments au frais pourvu qu’on ait pu s’approvisionner autrement qu’en achats en détail; l’État lui-même n’a pas les moyens de subvenir aux besoins des citoyens les plus défavorisés sur une durée non maîtrisée. Toute l’idée, c’est donc de chercher en bon père le point d’équilibre entre la santé des citoyens et le maintien d’un niveau d’activité économique qui leur permette de générer des revenus pour faire face à leurs besoins. À votre avis, que faudrait-il faire pour réduire les dégâts socio-économiques causés par la pandémie du Covid-19 ? Vous avez raison de parler de dégâts socio-économiques. Beaucoup de gains sociaux engrangés ces dernières années vont être anéantis à cause de la pandémie. Sur le court terme, la priorité pour réduire ces dégâts, c’est d’investir dans la santé et la prise en charge de la maladie pour éviter que notre système de santé ne se retrouve complètement à terre. C’est ensuite de lutter contre la vulnérabilité alimentaire. L’hivernage approche. Il nous faut une loi de finances rectificative pour réorienter une grosse partie des ressources de ce pays dans l’agriculture surtout dans un environnement de changement climatique. Nos ressources doivent nous servir à privilégier la recherche de l’autosuffisance alimentaire – et à terme aller vers la souveraineté alimentaire- dans toutes spéculations où cela est possible. La pandémie menace les marchés d’exportation, le secteur des services comme le tourisme ou les transferts de fonds des Sénégalais vivant à l’étranger et qui sont si cruciaux pour beaucoup de ménages et pour notre économie. Il y a certainement des opportunités pour nous de construire des économies plus résilientes dans cette crise. C’est incroyable comment le génie créateur des acteurs du secteur informel, de la recherche, de nos universitaires a été libéré avec la crise. Aujourd’hui, ce pays n’a plus besoin d’importer de masques. La demande est couverte. Nos universitaires ont fabriqué des respirateurs, des gels hydro-alcooliques et des robots. Nos chercheurs en veulent et disent il nous faut valoriser nos plantes médicinales. La Délégation de l’Entreprenariat Rapide va à leur rencontre pour les financer. Nos décideurs et la société civile ont retrouvé la voix pour dire haut et fort que la dette nous étouffe et nous voulons son annulation pure et simple, pour nous permettre d’investir dans les services sociaux de base comme l’eau, l’assainissement, la protection sociale, etc. C’est tout cela qui va contribuer à minimiser les impacts de la pandémie sur nos ménages, nos emplois et notre économie en général. Pensez-vous que la manière dont l’Etat apporte son soutien aux couches défavorisées en leur distribuant des vivres est la meilleure solution en de pareilles circonstances ? CICODEV est représenté dans les 14 régions du Sénégal par nos Points Focaux qui suivent les opérations de ciblage des ménages, la distribution. Nous sommes pour plus de transparence, d’équité et de recevabilités dans la gestion et la distribution de l’aide alimentaire et veillons à cela dans notre implication du niveau communautaire au niveau départemental. Nous sommes aussi pour plus de discrétion dans la distribution. Pensez-vous que le comité de suivi du fonds force Covid-19 pourrait réaliser les missions qui lui sont assignées compte tenu des tares congénitales notées lors de sa création (composé en majorité de membres du régime) et les brouilles relatives aux perdiems de 3,5 millions annoncés ? Les fonds Force COVID-19, il faut le rappeler- doivent être régis par les termes de l’Article 33 de la loi organique portant loi de finances. Ce sont des fonds de concours constitués par des contributions volontaires versées par des personnes morales ou physiques et notamment par des bailleurs de fonds, pour concourir avec les ressources de l’État à des dépenses d’intérêt public. Ils proviennent aussi de legs et des dotations attribués à l’État. Ils doivent être portés en recettes au budget et un crédit supplémentaire de même montant est ouvert sur le programme concerné par arrêté du ministre chargé des finances. L’emploi des fonds de concours doit être conforme à l’intention de la partie versante ou du donateur. Ce à quoi nous appelons nos autorités, c’est de se conformer à ces procédures même si la gestion est en urgence. Et c’est pourquoi il est fort gênant que la structure ait été secouée par des soubresauts au sujet de partage de perdiems. L’intention des parties versantes et des donateurs c’était d’abord d’apporter une assistance aux ménages impactés par la survenue de la pandémie. Et non de rétribuer ceux à qui l’État a donné le privilège de servir une cause noble. C’est pourquoi, nous plaidons pour qu’à l’instar des points de presse tenus par le Msas que le ministère du Budget puisse aussi tenir des points de presse pour nous informer de l’état de mobilisation des ressources et de leur utilisation. L’avantage est certain : c’est la confiance que cela va susciter auprès des parties versantes et l’attrait d’autres donateurs.

 Entretien de Amadou Kanouté,Directeur Exécutif de CICODEV accordé à «L’As»,samedi 23 mai 2020

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