Entretien avec Lansana Gagny Sakho, Directeur général de l’ONAS-Sénégal

Dans l’entretien exclusif accordé à Financial Afrik, le Directeur Général de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS), Lansana Gagny Sakho, évoque le nouveau paradigme que le continent doit amorcer en promouvant l’assainissement autonome. Pays pilote choisi par la Fondation Bill et Melinda Gates, le Sénégal est en train de tester de nouvelles technologies qui feront des émules au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.
 
 

Des responsables de la Fondation Bill et Melinda Gates étaient récemment venus au Sénégal pour trouver une issue sur les questions d’assainissement. Quelles sont les solutions envisagées ?

En effet, des responsables de la Fondation Bill et Melinda Gates sont venus au Sénégal dans le cadre du financement d’un projet pilote  lancé depuis six ans. Des technologies sont en train d’être testées par la Fondation pour nous aider à régler les problèmes d’assainissement sur le continent africain. Le Sénégal a été choisi comme pays pilote pour la qualité de son capital humain mais aussi pour le leadership des pouvoirs publics de s’engager résolument à résoudre les problèmes d’assainissement.

Il faut avoir une approche novatrice si on veut régler les questions liées à l’assainissement, des réponses adaptées mais aussi une forte implication du secteur privé sont attendues. Comme il s’agit d’un projet pilote au Sénégal, à partir de fin mars 2018, nous allons procéder à un passage à l’échelle, c’est-à-dire quitter la phase pilote pour embrayer avec une phase opérationnelle qui va embrasser l’ensemble du territoire. C’est un projet extrêmement important pour l’avenir de l’assainissement en Afrique. Ce projet sera dupliqué dans des pays comme le Mali, le Burkina, La Côte d’Ivoire et dans des pays anglophones. L’objectif majeur c’est de régler les problèmes d’assainissement en Afrique.

 

Votre plaidoyer sur l’assainissement dit autonome est constant aussi bien pour le Sénégal que pour les autres pays . Qu’est ce qui explique cet engagement ?

En fait ce plaidoyer entre en droite ligne des fondements de l’approche de la Fondation Bill et Melinda Gates. Il s’agit ainsi de montrer qu’avec l’assainissement autonome, nous pouvons trouver des solutions alternatives à caractère écologique car vous ne jetez pas forcément l’eau. On promeut aussi des solutions économiques pour les populations. C’est tout le fondement du projet Bill Gates. Vous savez, il y a deux types d’assainissement. D’abord l’assainissement collectif qu’on trouve notamment à Dakar avec les tuyaux ou le tout à l’égout. D’autre part, il y’a l’assainissement autonome où on retrouve les toilettes et une station de traitement de boues. Cette boue est utilisée pour des activités génératrices de revenus liées à l’énergie, la production d’eau, d’engrais, etc. C’est cela le principe de l’assainissement autonome. C’est mieux adapté à l’Afrique parce que l’assainissement collectif est très coûteux. Si l’on prend l’exemple de l’Onas, nous disposons d’un ensemble d’ouvrages mais nous peinons à assurer l’entretien et la maintenance. Vous avez aussi des villes très éloignées où on ne trouve pas beaucoup de populations. Ce serait donc suicidaire de faire de l’assainissement collectif dans ce contexte. Donc il faut de l’assainissement autonome. Mais il faut avoir un service de qualité pour que le système fonctionne.
C’est là que peut et doit intervenir le secteur privé. Il faut qu’on se mette d’accord sur le fait que l’assainissement collectif n’est pas forcément la panacée. Il faut aussi vaincre des résistances car l’assainissement autonome n’est pas un sous-produit encore moins un produit dégradant. L’urgence est de rester en phase avec une bonne qualité de service pour assurer un bon assainissement autonome.

Quelle est la situation actuelle de l’assainissement en Afrique ?

Ecoutez, l’assainissement est considéré comme la parent pauvre des politiques publiques. C’est le secteur où il y’a le moins d’investissements. Résultat, aucun pays africain n’a atteint les objectifs du développement durable dans ce sous-secteur. Heureusement que nos gouvernements sont en train de fournir beaucoup d’efforts pour renverser la tendance. Nous avons aussi constaté en Afrique des niveaux d’avancée disparates dans ce domaine. On suppose par exemple que le Sénégal est un pays assez avancé malgré des gaps importants remarqués ici ou là. En revanche, dans bon nombre de pays africains il n’ya pas grand-chose. Ce qui explique cette différence, c’est qu’il n’y a pas assez de fnancements et nous faisons souvent recours à des solutions qui ne sont pas adaptées. On pense tous qu’il faut faire du Tout collectif alors qu’on n’en a pas forcément les moyens. Au Sénégal par exemple, on est encore dans le tout collectif et on reste confronté à des dérapages comme les vols des égoûts, les branchements clandestins, la mauvaise gestion des eaux usées. On arrive difcilement à avancer sur les indicateurs.
Si en Afrique, on mettait la moitié des investissements de l’assainissement collectif dans l’assainissement autonome, on aurait atteint les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Mais ce n’est pas trop tard et les pouvoirs publics ont compris la nécessité de changer de paradigme. Nous sommes à un tournant très important qui devrait permettre un meilleur accès à l’assainissement en Afrique.

Finalement quelle est la valeur ajoutée de l’assainissement encore  considéré quelque part comme un luxe en Afrique ?

Il faut savoir d’abord qu’un bon assainissement permet d’économiser des ressources sur les dépenses liées aux questions de santé. Si vous dépensez très peu dans l’assainissement, vous allez dépenser cent fois plus dans quelques années pour la prise en charge sanitaire des populations. On ne peut pas parler de santé publique sans parler d’un système d’assainissement adéquat et fonctionnel. Il faut mettre l’accent sur un assainissement adapté. Malheureusement nos pays ont tellement de défs (sécurité, santé, éducation, hydraulique, etc.) mais ily a une corrélation directe entre la santé et ce que nous faisons. Le Sénégal l’a bien compris car sur les trois dernières années, le niveau d’investissement est de plus de 200 milliards de FCFA. Mais le gap reste encore énorme car la demande est très forte. Dans cet ordre d’idées, nous saluons la forte implication de l’Association Africaine de l’Eau dont le thème central est de travailler sur l’eau et l’assainissement, aider les pouvoirs publics dans une démarche inclusive.Outre l’assainissement, vous vous intéressez aux questions de développement qui agitent le continent.

 

Quelles appréciations faites-vous des tendances lourdes des économies en Afrique ?

L’Afrique fait face à des défis énormes. Je pense que le défi de la natalité reste notre première préoccupation. On ne peut continuer comme cela sans régler les problèmes des population. Le deuxième défi est lié à l’industrialisation, la création de la valeur ajoutée. Quand on regarde nos pays, on parle de taux de croissance de 7 à 8%à quelques exceptions près avec une forte prédominance de l’exploitation des matières premières. Voyez, des pays comme le Tchad ou l’Angola sont en dificulté parce que le cours du baril de pétrole a baissé. Nous avons en réalité des croissances artificielles.
En sus de la maîtrise des questions démographiques, notre continent doit se tourner résolument vers la transformation structurelle de nos industries. Il s’agit de trouver les moyens de transformer les produits afin de créer de la valeur et des emplois. Cela suppose des préalables. Il faut d’abord un marché. Avec l’ouverture des frontières née des récents accords, les pays développés peuvent être des portes d’entrée comme ils le sont actuellement pour la Chine. Secundo, il faut un environnement juridique attrayant pour permettre aux investisseurs étrangers de ne pas avoir d’appréhensions. Nous sommes dans un environnement international fortement concurrentiel et impitoyable; il faut travailler pour éviter que les investisseurs aillent investir en Asie plutôt qu’en Afrique.

Il faut aussi davantage investir dans l’éducation et la formation pour un capital humain à même de faire face aux nombreux défis  qui nous interpellent. Penser que la France, la Chine, l’Inde ou la Turquie vont développer l’Afrique, c’est se tromper lourdement. Il faut éviter de trouver des boucs –émissaires pour expliquer notre situation. La Chine a vécu pire avec la colonisation japonaise mais elle a tourné la page pour travailler, se concentrer sur le présent et l’avenir.

Propos recueillis 
par Albert SAVANA

 

Source:https://www.financialafrik.com

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