Prix de cession des terres de Mbane : Un hectare bradé à 1 000 francs Cfa aux autorités

original mbane
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Prix de cession des terres de Mbane : Un hectare bradé à 1 000 francs Cfa aux autorités. Jouir des terres du domaine national requiert l’aval du Conseil rural qui a la prérogative de définir ses modalités d’affectation. S’acquitter des frais de bornage est obligatoire…

 
 Jouir des terres du domaine national requiert l’aval du Conseil rural qui a la prérogative de définir ses modalités d’affectation. S’acquitter des frais de bornage est obligatoire. A Mbane, on a attribué près de 190 000 ha à des personnes non-résidentes. Pour la plupart, elles n’ont pas mis en valeur leur parcelle. Mais le fait insolite qui agace plus d’un à Mbane, ce sont les frais de bornage fixés à 1 000 francs Cfa l’hectare. Des investigations menées à Mbane par Le Quotidien en partenariat avec l’Institut Panos de l’Afrique de l’ouest ont permis de constater que face au marasme du budget local, les autorités locales n’ont pas encore pris conscience de cette source de recettes importante pour la collectivité. Le rush des paysans du dimanche vers Mbane s’expliquerait d’ailleurs par ce vil prix que constitue cette taxe foncière. La mine de Ifra Sow est pitoyable. Ce paysan-pasteur sanglote d’être orphelin de terres dans sa propre terre natale. Sa mine est compatissante. Son verbe est coléreux. Et pour cause, le devenir de ses bœufs et des cultures est compromis. Emmitouflé dans un turban de désert, il observe le feuillage avant de s’étonner de la tête. Et tristement. La promenade qu’il effectue le long d’un chenal à hauteur de Temey Peulh ne le console point. Ses bêtes ne peuvent plus accéder au Lac de Guiers, sans avoir contourné 7 Km. La voie d’accès initiale au cours d’eau est bloquée par de grandes plantations de manioc et de patate douce. Ifra observe des mômes nager dans cette eau saumâtre, gâtée de larves verdâtres. Les femmes s’alignent devant le canal. Elles font le linge corps et pieds nus. Et on devise en pulaar.

Les feuillages des spéculations se juxtaposent, les uns les autres. «Il y a un non-résident qui a bénéficié de 50 000 ha», s’émeut-il. Soit près de 23% de la superficie de la collectivité attribuée à la Société Promodev Sa, comme indiqué dans le Procès-verbal de délibération du Conseil rural. Cette affectation insolite l’afflige. Mais Ifra regrette que sa machette qu’il porte sur son flanc gauche ne puisse dissuader cette boulimie. Il se résigne tout en assimilant l’acte à un bazar foncier opéré par les autorités locales. Heureusement pour lui, la délimitation n’est pas encore faite.

«ON A BAZARDE NOS TERRES à VIL PRIX»
Tout compte fait, ils sont nom­breux les paysans du dimanche et des caciques du régime à bénéficier de grandes superficies à Mbane. (Voir par ailleurs). De telles largesses foncières ne se reflètent pas sur la bourse communautaire. Le budget de la communauté rurale de Mbane n’en a pas profité en fixant les frais de bornage à 1 000 francs Cfa l’hectare. En effet, les droits d’alignement et frais de bornage sont passés de 15 600 000 francs Cfa en 2009, à 36 100 000 francs Cfa pour redescendre à 29 500 000 francs dans le budget de 2011. Les recettes liées aux frais de bornage représentent donc moins de 13% des prévisions de recettes de cette année qui s’élèvent à 381 525 622 francs Cfa. Le même taux est constaté lors des deux années précédentes.

Une somme dérisoire qui, selon Lamine Mandiang, expert en gestion des collectivités locales, peut expliquer la forte tension foncière qui prévaut à Mbane. A partir de là, dit-il, l’on peut comprendre pourquoi les paysans du dimanche n’ont pas raté ce bazar foncier de Mbane, histoire de s’octroyer ses réserves du domaine national et non pas ailleurs.

Le pasteur Djiby Bâ n’en revient pas, lui qui a du mal à laisser maintenant ses bêtes divaguer comme elles le faisaient naguère. Les barbelés délimitant les innombrables vergers en jachère le poussent à transhumer.

«On a bazardé nos terres à vil prix», dénonce-t-il. La pénombre vient d’ensevelir le soleil. Le vieux Djiby ne cesse de s’indigner de son pa­telin mourant d’enclavement. Il montre du doigt la camionnette-car­go qui était engouffrée dans la piste la­téritique. Sur le visage des passagers, l’ocre de la poussière. Le véhicule s’arrête à Temey Peulh. Il faudra ar­penter un sentier, à la croisée des champs de patate et d’oignon pour re­­joindre la grande concession de Djiby.

2 000 FRANCS CFA AU-DELà DE 25 HA
A travers les cases en paillotes, on pèse le cheptel du berger cerné dans un enclos en grillage argentin. L’éleveur-paysan est ainsi obligé de parquer son bétail, tous les soirs, pour éviter de faire brouter des périmètres maraîchers d’autrui. Ses vaches marchent des kilomètres pour trouver de la bonne herbe à brouter.
En dépit des difficultés, l’hospitalité y reste un sacerdoce. On se délasse sur une natte étoffée d’un matelas. Soudain, une calebasse remplie de lait arrive sous nos pieds. A côté, le thé bout à feu ravivé. Pas de guerre à travers les ondes, sinon des beuglements de bœufs. Radio Sénégal assure un quasi-monopole dans la zone. Chez Djiby Bâ, l’ère du solaire vient juste de démarrer. «L’électrification est un rêve ici. L’Etat nous a oubliés et le Conseil rural a un budget faible. C’est pourquoi je suis parti en Mauritanie acheter un panneau solaire», s’explique notre hôte. Selon lui, rien n’est de trop quand on a de la visite. On est obligé de passer la nuit. Le cargo ne retourne sur Richard-Toll qu’à l’aube.

On s’endort vite sous une moustiquaire. Il est 5h du matin. La torche éclairant le sentier, on s’accompagne à l’arrêt. Il faut somnoler sur une ro­che ocre jusqu’à 6h du matin avant que le bruit du pot d’échappement n’annonce de loin l’arrivée de la ca­mionnette. «On dit qu’on est une com­munauté rurale riche, mais on ne profite pas de nos richesses», ré­pè­te avant de prier pour un retour sur la ville sucrière. Autant Mbane n’a que ses terres et son lac comme po­tentielles sources de recettes, autant le Conseil rural «refuse» de profiter notamment des nouveaux agriculteurs nés de la Grande offensive pour l’agriculture, la nourriture et l’abondance (Goana) pour augmenter son budget à travers les frais de bornage. La ruée vers Mbane a été dé­crétée tambours battants par le président de la République Abdoulaye Wade au soir du lancement de la Goana (25 avril 2008) au stadium Marius Ndiaye.

Puis, avec toute la solennité d’un Conseil des ministres, Wade lance un défi politique. «Chaque député, mi­nis­tre ou sénateur doit cultiver au moins 20ha.» L’orgueil du bourgeois ne voulait pas être vaincu. Et les 4X4 aux vitres feutrées de rouler vers Mbane. Le ministre de l’Energie d’alors, Samuel Sarr, y reviendra avec 100ha. Les attributions partent de 50 ha (Souleymane Ndéné Ndiaye) pour se plafonner à 700ha (Pape Diop). Les parcelles attribuées aux agro-businessmen et non moins proches du régime se mesurent par mil­liers, sans aucune incidence ma­jeure sur le budget. Néan­moins, certaines affectations précèdent la Goana.

D’une superficie de 190 000 ha, la communauté rurale de Mbane a af­fecté, selon le registre de Aliou Diack, 250 000 ha depuis 2002. Si ces affectations demeurent en vi­gueur, même les habitats devront céder aux «mé­cènes» agricoles. La réunion du Conseil rural tenue le 04 juin dernier en vue de désaffecter 196 210 ha, a été houleuse, même si la mesure a été approuvée.

La tumultueuse installation de Aliou Diack à la tête du Conseil rural n’a pas permis une prise de conscience de la richesse foncière. M. Diack s’en émeut encore en avouant n’avoir pas fait mieux que ses prédécesseurs. «C’est un montant dérisoire. Or, les droits de bornage devraient être une source de recettes importante pour le budget. J’ai voulu les augmenter, mais des conseillers s’y sont opposés», regrette-t-il. Le compromis a élevé à 2 000 francs Cfa le montant des frais de bornage, au-delà de 25 ha.

«CERTAINS ONT PAYE, D’AUTRES NON»
Dans les communautés rurales de Dakar ou de Thiès, les géomètres ne sont jamais désœuvrés. Ils lotissent et morcellent à longueur de journée des terres du domaine national. Com­me c’est le cas d’ailleurs à Mba­ne. Mais il faudra casquer 50 000 francs Cfa pour disposer de 150 m2 ou 300 m2. Et on ne verse pas moins pour un hectare de terre. Appliquant le même taux, le Conseil rural de Mbane aurait manipulé près de 10 milliards francs Cfa durant cette décennie en délibérant l’affectation des terres. Une manne qui aurait servi au développement local.

Mais Ifra Sow ne manque pas de dire que la mise en valeur est un critère essentiel d’une affectation du domaine national. Le frais de bornage est un baromètre de la capacité de l’attributaire à exploiter. Certes le caractère dérisoire du taux peut expliquer la ruée, une ruée encouragée par le projet Pademas financé à hauteur de 45 milliards de francs Cfa par la Banque mondiale. L’objectif est l’irrigation des terres qui a été l’obstacle majeur. Quoi qu’il en soit, ces nouveaux agro-businessmen doivent s’acquitter des frais de bornage à la paierie locale. C’est la conviction du conseiller rural Abdoulaye Taye. Ce dernier de s’étonner de la délicatesse de la caisse rurale : «On reste un long moment sans qu’il y ait des sous», avoue-t-il. La question est de savoir si les nouveaux «seigneurs» ont honoré leur devoir vis-à-vis du Trésor public. Aliou Diack persiste que beaucoup de frais n’ont pas été versés. Le sous-préfet de l’arrondissement de Mbane, Talla Ndiaye, de rétorquer qu’elles sont nombreuses les parcelles qui n’ont pas été délimitées. Impossible de disposer du compte administratif du Conseil rural.

A la paierie de Dagana, le ton est ré­servé. Le payeur Diémé indique que les attributaires de parcelle passent à la caisse, après avoir reçu un ordre de recettes. Celui-ci d’avouer : «Certains attributaires ont payé les frais, d’autres non. Il y en a beaucoup qui n’ont pas versé les frais.» Lorsque nous avons voulu identifier par téléphone ceux qui n’ont pas respecté le droit, le fonctionnaire s’est braqué : «Je ne vous dirai rien !».

Par Birame FAYE.

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