[PORTRAIT] DIEYNABA SIDIBE : RECIT D’UNE VIE DEDIEE A LA CAUSE FEMININE DANS LES SOCIETES PASTORALES

A 75 ans, l’ambassadrice de l’accès des femmes du sous-secteur de l’élevage au foncier, Dieynaba Sidibé (présidente du Dinfel) n’abdique jamais. A l’occasion de la journée mondiale des femmes rurales célébrée, le dimanche 15 octobre, Seneweb est allé à la découverte de cette battante à l’engagement inoxydable pour un changement de paradigmes dans les sociétés pastorales au Sénégal.

Quand elle raconte son enfance dans son Kédougou natal, Dieynaba Sidibé se redresse sur sa chaise, le sourire au coin des lèvres, ses yeux plissés par le poids de l’âge visibles derrière d’épaisses lunettes brillent de nostalgie. Les souvenirs d’une belle enfance, baignant dans un océan de bonheur aux confins du Sénégal oriental des années 1950-1960, défilent. C’est l’histoire d’une petite fille de 7 ans qui exécute quotidiennement avec fierté sa ‘’corvée’’ matinale au milieu de milliers de têtes de bœufs avant d’aller à l’école. Le récit est celui de l’amour fusionnel entre Dieynaba et le cheptel. Le coup de foudre, telle qu’on peut l’assimiler, a opéré dès les premiers balbutiements et est devenu par la suite le fil conducteur de toute une vie.    

« Je suis née dans une famille d’agro-pasteurs. Mon père, malgré son statut de fonctionnaire de l’État, avait au moins 3000 têtes de bœufs, 40 moutons, une cinquantaine de chèvres, et de la volaille.  Étant très jeune, j’ai vécu dans cette famille et j’ai pu aimer ce sous-secteur de l’élevage. J’ai appris à traire les vaches à l’âge de 7 ans au moment où j’étais à l’école. On m’avait acheté un petit banc pour que je puisse traire les vaches. C’est comme ça que je suis tombée amoureuse de l’élevage », confie l’actuelle présidente du directoire national des femmes en élevage (DINFEL), Dieynaba Sidibé qui a reçu Seneweb dans son bureau sis à Petit-Mbao, à l’occasion de la journée mondiale des femmes rurales.

 

Chez les Sidibé, l’élevage est une activité sacrée qui se transmet d’une génération à l’autre. Dépositaire du legs ancestral depuis plusieurs décennies, Dieynaba a apporté une pierre symbolique à l’édifice en participant à l’amélioration des conditions d’exploitation du cheptel familial et bien au-delà. Ceci, grâce à une expérience acquise auprès de ses parents. Mais également grâce à son parcours professionnel dans la fonction publique notamment au ministère de l’élevage comme agent technique de l’animation, responsable du volet femme au projet de développement de l’élevage au Sénégal oriental. Il faut dire que l’influence du père a joué un rôle déterminant.

Dépositaire du legs de ses ancêtres

« Je sais distinguer le troupeau parce que ma grand-mère était la conservatrice de la santé animale à l’époque où il n’y avait pas de vétérinaire dans les villages. Elle était la responsable de tout le cheptel du village. Dès le bas-âge j’avais une parfaite maîtrise des rouages de l’élevage. Mais, mon père me disait : ‘être éleveur ne suffit pas. Il faut faire des études pour améliorer tes conditions d’exploitation à l’avenir puisque le monde évolue’ », se remémore-t-elle. Ces paroles motivantes de ce père éleveur doublé d’un fonctionnaire qui a eu la chance d’avoir fait les bancs, sonnent encore aux oreilles de Dieynaba et la poussent à se surpasser dans son engagement pour sa communauté et pour l’ensemble des femmes pasteurs du Sénégal.

C’est ainsi que, suivant ce conseil avisé, elle passe le concours de l’École nationale d’économie appliquée (ENEA) devenue (ESEA). « Comme mon père me l’avait conseillé, après mon cycle éducatif j’ai fait le concours pour mieux appréhender les problèmes théoriques dans le souci d’améliorer mon expérience », explique la Kédovienne. C’est le début d’une riche carrière d’agent technique de développement de l’élevage. Affectée à Tambacounda à sa sortie d’école, elle fait de la défense des causes des femmes pasteurs une mission sacerdotale.

« A Tambacounda (de 1976 à 1993), j’étais la responsable des femmes éleveurs. J’ai pu mettre en œuvre beaucoup d’activités liées à notre plan d’action. Il fallait d’abord identifier les priorités, organiser les femmes en élevage en association pour mieux les aider. Ensuite on a initié des ateliers de formation des femmes dans les différentes activités qu’elles mènent : la traite du lait, la transformation et la consommation », confie-t-elle. Au bout d’une dizaine d’années, mission accomplie pour Dieynaba. « Toutes les familles d’éleveurs avaient adhéré à l’association », s’enorgueillit-elle.

 Le temps était alors venu pour la jeune dame, la quarantaine révolue à l’époque (en 1993), de prendre une retraite anticipée et de quitter la fonction publique pour retourner à la maison familiale afin de s’occuper de son cheptel et aider les femmes de son village. C’était sans compter avec la détermination du directeur de l’élevage de l’époque feu Abdoulaye Bouna Niang qui trouvait sa ‘’protégée’’ trop jeune et encore débordante d’énergie pour raccrocher si tôt. « En 1998, il a fait appel à moi pour diriger le directoire national des femmes en élevage (Dinfel), une initiative de la direction de l’élevage. J’ai travaillé avec l’inspecteur de l’élevage de Tamba pour organiser les femmes et identifier leurs priorités (Bakel, Tamba et Goudiry). C’était un challenge », souffle-t-elle avec fierté.

Défenseure de l’accès des femmes au foncier

Grâce à cette remise en selle, Dieynaba Sidibé cavale depuis et a intégré, avec le temps, le cercle restreint des acteurs incontournables du sous-secteur de l’élevage à travers le Dinfel et ses 20 milles membres. Ce directoire vise dans ses objectifs à : assurer la représentation à toutes les rencontres nationales et internationales, contribuer au renforcement des capacités des femmes en élevage du Sénégal, rechercher des partenaires dans les domaines de développement, promouvoir la solidarité et l’aide entre les membres, appuyer ses membres dans la recherche des solutions aux problèmes d’approvisionnement, de production, de financement, de commercialisation, d’information, de formation que rencontrent les femmes en élevage, et enfin contribuer à la gestion du pastoralisme dans les zones d’élevage nationales et internationales.

 Aujourd’hui, engagée dans le cadre unitaire de l’Alliance nationale Femme et foncier, elle plaide avec vigueur -aux côtés de Cicodev Africa- l’accès des femmes au foncier, un véritable casse-tête chinois notamment pour celles qui s’activent dans l’élevage. Après plusieurs décennies de luttes, le problème reste entier. Même si elle note quelques avancées. « Au moment de la décentralisation le sous-secteur de l’élevage et l’agriculture n’étaient pas dans les compétences transférées et quand on parle de foncier on pense aussitôt à la décentralisation. Dans leur budgétisation, les élus territoriaux ne prennent pas en compte les éleveurs. J’ai eu la chance d’être conseillère régionale, je me suis battu pour que l’élevage soit pris en compte », souligne-t-elle.

Leur plaidoyer au sein de l’Alliance nationale Femme et foncier et sa campagne « Stand for her land », a incité beaucoup d’élus territoriaux à faire montre d’une certaine souplesse par rapport à l’accès des femmes agro-pasteurs au foncier. Cependant, s’empresse-t-elle de préciser, quelques poches de réticences restent encore à briser. « Ces poches de réticence se situent dans les départements de Podor où l’agriculture et la riziculture ont pris le devant sur le sous-secteur de l’élevage. Dans la région de Thiès également où il y a un surpeuplement d’agriculteurs et de problèmes d’exploitation minière. Dans la région de Matam ou dans les zones du bras du fleuve, les femmes n’ont pas accès à la terre. Mais aussi à Diourbel où le foncier est rétréci », énumère-t-elle.

Plaidoyer pour l’adoption du code pastoral

A ces difficultés s’ajoutent des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans certaines zones, qui aboutissent parfois à mort d’homme. Selon Dieynaba, ces obstacles pourront être surmontés dès l’adoption par l’assemblée nationale du code pastoral. « Il est sur la table des députés. Nous sommes en train de faire un plaidoyer pour que les parlementaires nous aident à valider ce code pastoral. Ça va atténuer les conflits qui dégénèrent en mort d’homme. Ça va atténuer la question de cheptel mis à la fourrière. Dans le code pastoral nous allons parler également de la périphérie des parcs. Cela permettra aux éleveurs de transhumer dans les périphéries des parcs », liste-t-elle comme avancées contenues dans le code pasteur.

Consciente que le temps joue un peu en leur défaveur, Dieynaba et ses camarades du Dinfel préparent la relève en aidant de jeunes agro-pasteurs en herbe à rester dans les terroirs. « Depuis deux ans nous sommes en train d’aider. Nous leur donnons des intrants, soit des semences soit des brebis. C’est le meilleur moyen de lutter contre l’émigration clandestine », renseigne la présidente du Dinfel. 

Cette année d’ailleurs, 15 jeunes ont déjà bénéficié de l’appui du directoire. « Nous leur avons donné des semences d’arachides et de l’engrais. Ce sont des jeunes agro-pasteurs. Ils vont ensuite acheter des brebis pour exploiter. Les fonds qu’ils vont récolter de la vente d’arachide va leur permettre de faire des opérations Tabaski par exemple », laisse entendre Dieynaba Sidibé qui invite les jeunes à s’impliquer davantage dans ce sous-secteur.

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