A l’image de beaucoup de membres de la société civile africaine, le directeur de l’Institut panafricain pour la citoyenneté,les consommateurs et le développement (CICODEV)mène un plaidoyer contre les effets de l’utilisation des OGM. Également membre de la DyTAES (Dynamique pour latransition agroécologique au Sénégal), il revient, dans cet entretien, sur les raisons de leurs réserves sur la loi sur la biosécurité.
Pourquoi dénoncez-vous l’adoption, par l’Assemblée nationale du Sénégal, de la loi sur la biodiversité ?
D’abord, nous dénonçons la procédure : adopter en procédure d’urgence et sans débat une loi qui a des ramifications et des implications aussi importantes qu’inconnues sur la santé humaine, animale, végétale, sur notre économie et notre culture est impensable. Nous la dénonçons, car elle est contraire à l’esprit et au texte du protocole de Cartagena – auquel notre pays est signataire – qui stipule en son article 23-2 que les parties… consultent le public lors de la prise des décisions relatives aux organismes vivants modifiés et mettent à la disposition du public l’issue de ces décisions. Le processus décisionnel qui a abouti à l’adoption de cette loi par notre Assemblée nationale n’a été ni consultatif ni inclusif. Alors que cette loi va autoriser la mise sur le marché de produits OGM que nous allons consommer, que les animaux vont consommer, que les paysans vont utiliser dans leurs champs. Aucune de ces parties prenantes n’a été consultée. Nous dénonçons cette loi pour son caractère inopportun et contradictoire avec la vision portée par le chef de l’État : il a opté d’engager le Sénégal dans la voie de la souveraineté alimentaire et de l’agro-écologie. Les produits OGM et particulièrement les semences OGM sont contraires à l’effectivité et la matérialisation de l’une et l’autre de ces choix et de ces visions. Enfin, nous la dénonçons, car notre pays – à l’instar de la majeure partie des pays en développement – ne dispose pas de moyens pour faire face à la nature et à l’importance des risques, connus et potentiels, que présentent les organismes génétiquement modifiés. Un cadre et un organe de régulation sans moyens de contrôle, de vérification, de surveillance et de coercition ne sont que faire-valoir et n’emportent point notre confiance.
Quels dangers représente l’introduction des OGM au Sénégal ?
Les risques sont multiformes. Sur la santé humaine et animale, beaucoup d’études ont révélé les risques que la consommation des OGM a induits sur la santé animale et humaine. C’est des allergies, des phénomènes de résistance aux antibiotiques et de développement de cancers. L’étude qui a cependant choqué le monde et servi de déclencheur est celle réalisée par le Dr Arpad Padzai du Rowett Institute Research Centre en GrandeBretagne, dont les résultats de recherches sur des rats nourris avec des pommes de terre génétiquement modifiées ont révélé des retards de croissance et des déficiences de leur système immunitaire. Dans le cadre des risques sur la biodiversité, une étude publiée dans “Nature” (une revue scientifique généraliste de référence mondiale) par des chercheurs brésiliens et américains (10 septembre 2019) et reprise dans le document de plaidoyer de la Copagen et des organisations de la société civile sénégalaise, montre que les moustiques Aedes aegypti génétiquement modifiés par Oxitec (Intrexon) se répandent maintenant dans l’environnement au Brésil. Ce pays avait autorisé plusieurs lâchers expérimentaux de moustiques mâles dont la descendance est en théorie incapable de se reproduire, et que la population de cette espèce de moustique devait diminuer et ainsi réduire les épidémies de dengue dans le nord du pays. Selon les chercheurs, “environ 450 000 mâles de cette souche transgénique ont été relâchés chaque semaine pendant 27 mois à Jacobina, Bahia”. Cependant, la pratique a montré ses limites : de nombreux descendants de moustiques génétiquement modifiés ont été observés et se sont propagés. Les données montrent clairement que la libération de l’OX513A a entraîné un transfert important de son génome (introgression) dans la population naturelle d’Ae. aegypti. Cette introgression pourrait entraîner, selon la recherche, une résistance accrue des moustiques aux insecticides, soit l’effet inverse recherché par la technologie.
Les OGM représentent-ils une menace pour les exploitations agricoles familiales ?
Cela représente le troisième risque et peut être le plus important pour un pays dont 70 % de la population vit et dépend de l’agriculture familiale. Ceux-là qui produisent des récoltes et la répartissent en trois parts : l’une pour l’autoconsommation, la seconde destinée à la vente et la troisième conservée pour la semence pour l’hivernage prochain. Eh bien, ils ne pourront conserver cette troisième part car les semences OGM ne se reproduisent pas. Elles deviennent stériles après une récolte. Il faudra retourner chaque année acheter des semences auprès des multinationales de l’agro-industrie. C’est la dépendance des exploitations familiales que nous décrétons avec l’autorisation d’entrée et de distribution des OGM dans le pays et non la souveraineté alimentaire. Les espèces locales, naturelles vont disparaitre avec les processus de contamination par les plantes OGM qui vont se développer à côté de celles dites conventionnelles. Et il leur faudra en plus payer des royalties (dividendes) aux semenciers pour l’utilisation des brevets et de droits de propriété.
Depuis plusieurs années, vous dénoncez la probable introduction des OGM au Sénégal. Maintenant qu’il ne reste plus que la promulgation de la loi, quelle est la prochaine étape dans votre lutte ?
Cette loi n’est pas encore promulguée. Elle le sera – si elle doit l’être – par le chef de l’État qui est aussi la même autorité qui a engagé le pays dans la lutte pour la souveraineté alimentaire et l’agro-écologie – qui rejette les OGM. C’est à lui que s’adresse aujourd’hui notre plaidoyer. Nous allons continuer à lui rappeler qu’aucune technologie n’est neutre et les OGM encore moins. Elles servent des intérêts contraires à la souveraineté alimentaire de nos pays. Si la nouvelle loi était promulguée, nous continuerions à faire ce que nous savons faire : la sensibilisation et l’éducation citoyenne au rejet des OGM et le plaidoyer auprès des législateurs. Nous avons une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre – si celle présidentielle nous était fermée – avec une législature plus équilibrée que celle qui a voté la loi à la veille de leur départ. Nous la saisirons pour demander son abrogation. Cette question de la biosécurité et des OGM va au-delà des clivages partisans et pose une question fondamentalement sociétale, de projet de société. C’est une question transmandature. Nous continuerons à la poser à tous ceux qui seront porteurs d’un mandat exécutif, législatif ou territorial, aujourd’hui et demain.
Source: L’enquête du lundi 29 aout 2022