Les petits agriculteurs familiaux qui travaillent dans la zone des Niayes, fournissent 80% des fruits et légumes du Sénégal mais ont été profondément touchés par la pandémie de COVID-19. Les femmes leaders de la communauté ont développé des mécanismes de réponse pour faire face à la crise. Après deux heures de route, Darou Khoudoss, une ville langoureuse de la zone des Niayes, se dresse devant nous sous un soleil de plomb. Autrefois une ville florissante avec d’abondants marchés de légumes, cette zone locale a dû faire face à la pandémie. “Nous avons été pris au dépourvu par le coronavirus”, explique Maguette Diop, présidente de l’unité de transformation qui emploie plusieurs femmes de la zone. “Il a restreint toutes nos activités de maraîchage et de transformation qui nous permettent de vivre et de faire vivre nos familles. Nous avons dû annuler beaucoup de commandes et fermer l’unité depuis le premier cas positif de coronavirus en mars”. L’autre moyen de subsistance de la majorité des femmes du village est l’agriculture à petite échelle. C’est aussi une industrie qui est confrontée à des jours sombres. “Nous nous approvisionnions en légumes dans les champs pour les vendre au marché et nous pouvions gagner entre 10 000 et 20 000 francs (15 à 30 euros) par jour. Mais avec la fermeture des marchés suite à la pandémie, notre activité a été anéantie”, soupire Fatou Ndiaye, vendeuse de légumes.
Formant une bande côtière le long du nord-ouest du Sénégal, les Niayes sont constituées de dunes et de conditions climatiques favorables, parfaites pour la culture maraîchère. C’est le véritable épicentre de l’agriculture sénégalaise, mais la pandémie a entraîné ce qui semble être une nuit sans fin. En réponse à l’épidémie internationale de COVID-19, le président Macky Sall a déclaré l’état d’urgence le 23 mars, assorti d’un couvre-feu de 20 heures à 6 heures. Les différents marchés du pays ont d’abord été fermés avant d’être partiellement ouverts.
Les petits producteurs et vendeurs de denrées alimentaires ont subi des pertes considérables : “Normalement, des centaines de camions sillonnent la région pour acheter des légumes à revendre dans tout le Sénégal et la sous-région”, nous dit une agricultrice locale. “Avec la pandémie, nous ne pouvions plus avoir accès aux transports, ce qui a entraîné la perte de plusieurs hectares de cultures. Nous avons regardé avec beaucoup d’amertume et une impuissance totale nos produits frais pourrir par manque d’acheteurs”. Les femmes du village nous ont raconté diverses histoires de difficultés, mais la sécurité alimentaire et l’entretien de leur famille sont la préoccupation principale de chacune. Assise devant son étal plein de verdure, Fatou Ndiaye nous raconte son histoire. “Pour nourrir ma famille, j’ai dû vendre les marchandises de mon étal ou troquer des légumes ou de la salade contre du riz et du sucre”. Astou Diallo s’est retrouvée à abandonner son emploi habituel pour chercher du travail ailleurs afin de faire vivre sa famille. “J’ai pu trouver un emploi dans les industries chimiques où j’étais employée pour aider les travailleurs à se laver les mains avec du gel hydro-alcoolique et à mettre en place des équipements qui les protègent des coronavirus. Cela m’a permis de répondre à mes besoins en tant que femme et mère”, dit-elle. Maguette Diop a eu moins de chance. Elle a dû utiliser la plupart de ses économies, qu’elle gardait pour sa retraite, pour subvenir aux besoins de sa famille. Malgré cela, les trois repas quotidiens de sa famille ont été réduits à deux. S’il y a un avantage, c’est bien un changement, petit mais significatif, dans les habitudes alimentaires qui ont vu de nombreuses familles se détourner du régime à base de riz et d’amidon. Nombre d’entre elles sont revenues au répertoire culinaire de leurs ancêtres, en s’appuyant sur les aliments disponibles localement, comme l’oseille et les arachides.
Un groupe de femmes de Darou Khoudoss nous raconte comment elles préparent des plats à base de céréales tels que le “lakhou bissap” et le “sombi guerté”. Ces plats sont simples et nutritifs et, à leur grande surprise et à leur joie, ils sont appréciés par leurs enfants. Alors que l’aide alimentaire sous forme de kits de nourriture avec du riz, de l’huile, du sucre, du lait et des pâtes, arrive du gouvernement, les femmes des Niayes demandent à savoir ce qu’elles vont mettre en œuvre ensuite. Elles veulent une aide plus durable, comme des investissements économiques dans des équipements et des installations de stockage pour les petits exploitants agricoles. Elles veulent également une aide pour pénétrer les marchés nationaux et internationaux plus lucratifs qui leur ont été fermés pendant si longtemps. En attendant, ils veulent juste ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants. “Ça me fait mal au cœur de leur demander de rester à la maison et de ne pas jouer dans le quartier”, dit Maguette. La ville est une communauté très soudée et ils ont ressenti les conséquences sociales du couvre feu de la COVID-19.
La crainte de la contamination, ainsi que les restrictions strictes en place, font que Darou Khoudoss a perdu un peu de sa chaleur et de son charme ces derniers mois. “La socialisation fait partie de la vie africaine”, dit Maguette, “et quand cet acte perd sa splendeur, nous perdons la valeur qui nous donne l’humanité”.
Léna Bâ (article publié par AFSA dans son livre, « histoires de coronavirus en Afrique : perspectives sur les défis de la COVID-19 pour les moyens de subsistances et les systèmes alimentaires) »