ACCÈS DES FEMMES AU FONCIER : THÉRÈSE MBAYE, LA GUERRIÈRE

Au Sénégal, les femmes sont confrontées à d’énormes difficultés pour accéder au foncier. Les hommes les relèguent au second plan et s’accaparent de toute l’assiette foncière. Ce 15 octobre, marquant la célébration de la journée internationale de la femme rurale, nous sommes allés à la rencontre de Thérèse Mbaye qui se bat pour l’autonomisation de la femme rurale.

Un calme plat règne à Fandène, village situé à environ 7 kilomètres à l’Est de la région de Thiès (70 km de Dakar). Le silence ambiant n’est troublé que par les gazouillis des oiseaux qui, du haut de leur repaire, au sommet des arbres, forment pour les visiteurs un comité d’accueil. Le soleil est au zénith. Il darde ses rayons lumineux. Sans pitié. Le paysage verdoyant des vastes étendues de mil promet une bonne moisson cette année. Derrière ces champs, se lovent les habitations. Discrètes et modestes. Dans cette localité repositionnée sur la carte du Sénégal par le lutteur Modou Lô, les cases cèdent progressivement l’espace aux maisons en dur.

Le domicile des Mbaye s’ébroue en cette matinée de fin d’hivernage. A l’intérieur, des femmes s’affairent autour de grandes calebasses. Elles empaquettent le couscous destiné aux rayons Céréales des grandes surfaces et autres commerces de produits alimentaires. Thérèse Mbaye, par ailleurs secrétaire général du Réseau national des femmes rurales du Sénégal se distingue parmi ses camarades du Groupement des femmes de Fandène.

Signe particulier de notre hôte : moins son handicap que sa contagieuse joie de vivre qui illumine les lieux et rafraîchit l’atmosphère. Mais, sous ses dehors de personne drôle et souriante se cache une combattante farouche, dure au mal. Qui a fait de la lutte pour l’accès des femmes au foncier son cheval de bataille. Elle fulmine : « Jusqu’à présent, il y a des hommes qui pensent que la femme ne doit pas accéder à la terre. »

« PARFOIS DES MENACES »

Ces « conservateurs » la trouvent toujours sur leur chemin. Au point qu’ils lui ont collé une étiquette au front : « l’empêcheur de dominer sans frais ». Elle raconte : « On m’indexe toujours comme quelqu’un qui monte les femmes contre leurs époux. A chaque fois que je fais une sortie pour défendre les droits des femmes, je reçois des critiques négatives émanant de certains hommes. »

Quelques téméraires poussent le bouchon plus loin que les simples « critiques négatives ». « Il y a même parfois des menaces », confie Thérèse Mbaye, qui s’empresse d’ajouter que ces attaques ne vont pas doucher sa détermination et sa motivation. Au contraire, elles la boostent.

Née à Fandène en 1960, Thérèse Mbaye a fait ses études primaires à l’école de son village. Le Certificat d’études primaires et élémentaires (CEPE, devenu Certificat de fin d’études élémentaires, CFEE) en poche, elle intègre le collège privé catholique Saint Ursule de Thiès. Deux échecs successifs au Brevet de fin d’études moyennes (BFEM) plus tard, elle tourne le dos à l’école française. Elle retourne dans son village natal pour se consacrer à l’agriculture.

A la différence de la plupart des jeunes filles de Fandène à l’époque, qui préféraient aller en ville pour être domestiques, elle choisit de rester dans son terroir pour cultiver les champs de ses parents.


DE 5 À 8000 MEMBRES

La vingtaine à peine, Thérèse Mbaye intègre « La Maison rurale de Thiès », regroupant des femmes et des jeunes filles du village. Très vite, grâce à son engagement, sa verve et sa pertinence, elle gravit les échelons, enfile les responsabilités et les succès.

Quelques années plus tard, elle met sur pied sa propre association, le Groupement des femmes de Fandène. Un des principaux objectifs : permettre aux femmes d’accéder au foncier. Un vaste programme. Et pour cause. Fandène est un village peuplé de « sérères nones ». Dans la tradition de cette ethnie, les femmes n’héritent pas la terre. C’est pourquoi au lancement de son groupement, Thérèse Mbaye peinait à attirer des candidates : l’association ne comptait que cinq volontaires puis, à force de persévérance, le cercle s’élargit à douze. Aujourd’hui, elle et ses camarades sont au nombre de 8000.

Et les premiers fruits de leur combat commencent à tomber. Thérèse Mbaye explique : « Après la création de notre groupement, nous avons fait un diagnostic de la situation des femmes. Les résultats ont montré que la majorité n’avait pas fait des études poussées. C’est ainsi que nous avons investi les radios communautaires pour sensibiliser les femmes afin de lever tous les obstacles qui les bloquent. Également, nous avons tenu des ateliers de renforcement des capacités à l’intention des femmes. Nous les formions à la maîtrise de la loi 64 qui régit les terres du domaine national. Aujourd’hui, les femmes sont bien formées et connaissent leurs droits. »

« UNE GOUTTE D’EAU DANS LA MER »

Grâce à ce travail, 187 femmes du Groupement sont titulaires de délibérations. L’ancienne député Hélène Tine, jointe au téléphone, s’incline devant cette « performance ». « Si elle a réussi à faire en sorte que des femmes aient accès au foncier, c’est une excellente chose. C’est une performance qui mérite d’être documentée, d’être donnée en exemple pour que cela fasse tache d’huile partout. »

Thérèse Mbaye est fière de « cette avancée », mais elle ne s’en contente pas. Elle dit : « C’est très faible. C’est comme une goutte d’eau dans la mer. »

D’autant qu’un autre défi se profile : la sécurisation des terres acquises par les femmes. « Ici, dénonce-t-elle, quand on attribue une parcelle à une femme, elle a trois ans pour la mettre en valeur. Sinon, elle sera récupérée. Or, nous savons tous que les femmes n’ont pas de revenus conséquents alors que les frais de mutation sont chers, sans compter qu’il faut supporter les charges liées au déplacement de la commission. D’ailleurs, pour décourager les femmes, on leur attribue des terres inaccessibles, située à plusieurs kilomètres du village. »

Pour corriger cette autre forme de barrière à l’accès des femmes au foncier, la secrétaire générale du Réseau des femmes rurales du Sénégal poursuit ses actions de sensibilisation auprès des chefs religieux et des élus locaux, qui détiennent, respectivement, l’influence et le pouvoir de décision. Elle cultive le rêve de convaincre ses interlocuteurs comme elle cultive l’hectare et demi de son champ de mangues, citrons et mil. Avec détermination, application et patience. « La vente de mes récoltes me permet d’être autonome financièrement pour satisfaire aux besoins de mes enfants. »

Pour intensifier ses actions en faveur de la cause féminine, Mme Mbaye a intégré des dynamiques à portée nationale, consciente en effet, que la précarité des droits fonciers des femmes ne se limite pas à Fandène. C’est ainsi qu’elle intègre le Réseau national des femmes rurales du Sénégal.

UNE MILITANTE ENGAGÉE DU RÉSEAU NATIONAL

Thérèse Mbaye est l’incarnation parfaite de la femme rurale engagée. Elle est membre très active du Réseau national des femmes rurales du Sénégal qui œuvre pour la promotion des droits fonciers des femmes au Sénégal. A l’instar des autres femmes membres dudit réseau, elle a reçu un renforcement de capacités qui lui permet de mieux défendre la cause des femmes. Avec pertinence. Grâce à ce réseau, beaucoup de femmes rurales ont accédé dans les instances de décision qui, jadis, étaient accaparées, par les hommes. Elle demande donc à ce réseau de poursuivre le combat pour l’autonomisation intégrale des femmes.


FEMME ET FONCIER, UNE INITIATIVE SALUTAIRE

Estimant que l’union fait la force, le Réseau national des femmes rurales du Sénégal dont elle porte la voix a accueilli favorablement la naissance de l’Alliance nationale pour la promotion des droits fonciers des femmes. Cette alliance permet de mailler les 14 régions du Sénégal et de connecter le niveau national de l’étranger. Aussi, elle permet aux femmes de mutualiser leurs forces afin de remporter toutes les batailles. Le combat des femmes ne peut et ne doit pas être abordé uniquement par les femmes. Et c’est là où l’alliance nous apporte vraiment une plus-value car, elle est composée à la fois par des organisations de femmes mais aussi d’hommes qui parlent tous le même langage. Aussi, la participation au sein de l’alliance d’élus locaux et de partenaires techniques et financiers nous donne une grande capacité à faire avancer l’état des droits fonciers des femmes. « Nous avons un objectif commun et ensemble, nous vaincrons », déclare Thérèse Mbaye. Qui, toutefois, plaide pour la valorisation des acquis. Sur ce, elle sollicite le renforcement des capacités des femmes de façon permanente afin de briser les tabous socio-culturels qui empêchent aux femmes rurales de jouir du foncier.


UN COMBAT LÉGITIME ET NOBLE

Fatou Sow d’Enda-Pronat chemine avec Thérèse Mbaye depuis plus de 20 ans. Elle salue l’abnégation de celle qu’elle désigne comme « la voix des sans voix ». « Elle est un modèle et inspire toutes les femmes rurales. Elle a pu s’affirmer dans ce qu’elle fait », s’enflamme-t-elle.

La présidente d’honneur de l’Association des femmes juristes du Sénégal (AJS), Mme Marie Delphine Ndiaye qui a piloté le processus d’accès des femmes au foncier révèle que 70% de la main d’œuvre paysanne est féminine. Mais, constate-t-elle pour la regretter, elles ne contrôlent pas le foncier. Pour elle, le combat de Thérèse Mbaye est légitime et noble. Elle lutte contre l’insécurité alimentaire. En plus, ajoute-t-elle, l’accès des femmes à la terre est un principe constitutionnel adopté depuis 2002 par voie référendaire.

Dans un entretien accordé au quotidien « Le Quotidien » l’l’institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (CICODEV), à l’occasion de la publication de leur étude sur les outils de suivi évaluation de la gouvernance foncière, faisait remarquer qu’au Sénégal, les femmes ne détiennent que 13% de la superficie des terres en agriculture pluviale. Cette situation s’avère, selon Thérèse Mbaye, paradoxale dans un pays qui vise l’émergence et l’autosuffisance alimentaire. Ces deux objectifs ne seront atteints, croit-elle savoir, que quand l’accès à la terre sera davantage démocratisé au bénéfice des femmes. Ce paradoxe est d’autant plus marqué que les chefs d’Etats africains se sont engagés à donner au 30% des terres documentées aux femmes.

Source:http://emedia.sn/

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