Mamadou Mballo, juriste foncier, décrypte le conflit foncier opposant le patron de Sedima, Babacar Ngom aux populations de Ndingler. Il aborde également le problème de la gouvernance foncière fragilisée par l’ineffectivité du cadre légal et réglementaire qui encadre le secteur foncier. Entretien.
Comment analysez- vous le litige foncier qui prévaut à Ndingler ?
D’une part, ce litige comme bien d’autres dans le pays est le résultat des crises alimentaire, financière et énergétique que le monde a connu durant les années 2008. Cette crise a été le facteur déclencheur d’une ruée des entreprises/acteurs économiques et politiques vers les terres africaines. Le Sénégal n’a malheureusement pas échappé à cette réalité. Celle-ci a ainsi abouti à de fortes pressions sur les terres fertiles des communautés locales, devenues subitement objet de toutes formes de convoitises pour la relance et la prospérité des activités économiques des investisseurs et élites politico-religieuses. Pour préserver leurs terres, sources de leur survie, les communautés sont souvent amenées à se mobiliser pour se faire entendre, des mobilisations aboutissant généralement à des oppositions et des conflits.
« NDINGLER EST L’ILLUSTRATION D’UNE EXPRESSION FONCIÈRE FRAGILISÉE »
D’autre part, l’affaire Ndingler est une illustration de l’expression d’une gouvernance foncière globalement fragilisée par l’ineffectivité du cadre légal et réglementaire qui encadre le secteur foncier. En effet, le principe de la domanialité nationale qui régit l’essentiel des terres communautaires repose sur un principe essentiel qui est celui de l’absence de propriété sur les terres. Donc, à première vue, aucun droit de propriété ne peut exister sur ces terres à plus forte raison un titre foncier. La philosophie du législateur sénégalais de 1964 repose sur le principe de l’appartenance de la terre à la nation et que cette terre doit servir au développement socio-économique et culturel des communautés locales. Donc, au sens de l’esprit de la loi, qu’un particulier, fut-il un investisseur national vénéré, détienne un titre foncier sur ces terres, cela pose question quant au respect de l’esprit de la loi.
Et même dans l’éventualité où l’Etat met en œuvre l’article 3 de la loi sur le domaine national en immatriculant une terre communautaire pour faciliter son accès à un investisseur privé, cela ne doit être que pour motif d’utilité publique et après concertation et consultation avec les populations qui utilisaient ces terres. Toute la question est maintenant de savoir dans le cas de l’Affaire Ndingler, en quoi le projet du groupe SEDIMA est plus important ou d’utilité publique que l’utilisation de ces terres par les communautés locales pour garantir leur sécurité alimentaires et nutritionnelle, l’emploi des jeunes et des femmes et leurs activités pastorales ?
Comment permettre aux communautés locales de profiter décemment de leurs terres ?
D’une manière générale, la loi permet aux communautés de jouir pleinement de leurs droits fonciers. C’est plutôt sa non-application effective qui cause beaucoup de torts aux communautés locales. Par ailleurs, en faisant table rase des droits/usages coutumiers et en instaurant un droit moderne, la loi sur le domaine national a créé les conditions de ses propres limites occasionnant ainsi des résistances de la part des communautés qui continuent de faire prévaloir leurs droits coutumiers sur ces terres. Au lieu de remettre en cause les droits coutumiers existants sur les terres communautaires, il serait plus sage d’opter pour leur constatation et renforcement. Il faut adapter les lois aux croyances et pratiques locales des communautés, faute de quoi elle s’expose à toutes formes de défiance/résistance.
Quelle devrait être la position de l’Etat du Sénégal dans ce conflit ?
Dans le cas d’espèce, l’Etat devrait adopter une position de médiateur entre les deux parties (Communautés et Groupe SEDIMA). C’est d’ailleurs cette voie que l’Etat a choisie depuis le début. La légalité de M. Ngom fait ici face à la légitimité des populations de Ndingler. Ce n’est qu’à travers la concertation et le dialogue qu’on parviendra à dégager un consensus au profit de tout le monde car, même M. Ngom n’a pas intérêt à avoir une cohabitation conflictogène avec les populations même si ces dernières décident de lui laisser les terres. Et l’Etat, en sa qualité de garant de l’ordre public, la paix sociale et les droits et libertés fondamentales des citoyens doit veiller à ce que la situation revienne à la normale en application des dispositions de la Constitution et des traités et conventions internationaux sur les droits humains dont-il est signataire.
Source:http://emedia.sn/